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Bulletin 5

BULLETIN N° 5

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Avant-Propos
Serge Jacquemond
Nous dialoguons avec ...
le général Jean-Bernard Bulit
Réflexions sur le temps passé et présent
Les administrateurs victimes des Japonais et du Vietminh - Serge Jacquemond
Retour à Saïgon - Jean de la Guérivière
L’ASEAN en voie d’élargissement- Colonel Georges Demaison
La Mauritanie d’hier et d’aujourd’hui - Général Gilbert Chavanne
Des millions d’arbres dans le Sahel - Paul Blanc
Madagascar va mieux - Alain Deschamps
Une terre française dans le Pacifique nord - Jean Serjac
Rencontres
A Bruxelles : avec les amis belges du Congo - Bernard Viollier
A Paris : l’Union Africaine et le développement - Raymond Césaire
A Bamako : regards croisés France - Mali - Francis Simonis
Vu, lu, entendu
entendu à la radio : Un cycle sur les colonies - Georges Sanner
Vu à la télévision : A Clipperton en 2005 - Jean Serjac
Vu au cinéma : Mooladé - Georges Sanner
Lu dans la presse
Interview de Michel Barnier dans “Jeune Afrique” - Jean Serjac
La chute de l’empire fançais dans Marianne - Christian Lambert

Lu chez le libraire
L’Indochine face au Japon de Philippe Grandjean - Alain Deschamps
L’Africain de J. M. G. le Clezio - Raymond Césaire

La vie d’Arom
Activités de l’association
In Memoriam : Daniel Doustin - Paul Masson

Avant propos

“Etrange pays où semble s'éroder le temps” écrit ce bulletin à propos de la Mauritanie. Etrange aussi notre pays où l'on se plait à reconstituer l'histoire à l'envers… ce que fait, d'ailleurs, tout benoîtement AROM en suivant l'actualité des anniversaires.

Ainsi, les bulletins 2 et 3 de février et juin 2004 nous parlent de Dien Bien Phu, 50è anniversaire du début de la débâcle de l' “Empire”.

Le bulletin suivant, en fin d'année, revient, lui, sur un 60è anniversaire : le débarquement libérateur de Provence dans lequel s'illustre un certain Général Brosset (que l'on retrouve dans les années 20 et 30, en Mauritanie). Le présent bulletin revient, pour sa part, sur un autre 60è anniversaire : dans la lointaine Asie, c'est le coup de grâce prémonitoire des Japonais : l'Indochine Française va se trouver poignardée - comme l'explique Ph. Grandjean -le 9 mars 1945… S'ensuit la longue liste des représentants civils de la France, victimes des débordements du pays - victimes qu'il ne paraît pas inopportun de rappeler. Rappel, aussi de quelques vérités sur l'histoire de la décolonisation qu'un hebdomadaire, " “Marianne”,relate dans un numéro exceptionnel assez objectif.

Mais après ?… "”le passé est le passé” dit la sagesse populaire. Après le passé, le présent : Dans un autre hebdomadaire, "”Jeune Afrique”, le nouveau ministre des Affaires Etrangèresédicte une ligne de conduite simple à l'égard des pays de l'ancien “Pré carré” : “ni indifférence, ni arrogance”… Doctrine également valable à l’EMSOME, cette école militaire chargée, comme l’explique le Général Bulit, d’entretenir la culture coloniale de l’Armée.

Tandis qu'à Bruxelles, à Paris, à Bamako, rencontres et colloques se poursuivent, nos “reporters” bénévoles livrent leurs réflexions sur le temps présent : La Guérivière, retour de Saïgon -le Colonel Demaison de Vientiane - le Général Chavannes de Nouakchott -Paul Blanc de Dakar… Ca va mieux, comme le confirme Alain Deschamps à propos de Madagascar ! Ca va même mieux sur l'atoll français du Pacifique nord ( qui va désormais attirer les touristes) et, espérons-le, bientôt, chez ces jeunes africaines qu'évoque Georges Sanner dans le film“Mooladé”. Ainsi, dans ce numéro comme dans les précédents, la mémoire - ténue ou appuyée - tisse (comme l’amitié) ses fils entre deux rocs incontournables : ceux de la réalité.

Serge Jacquemond

Nous dialoguons avec .....le Général Henri-Bernard Bulit

AROM : Mon général, quelle est l’origine et la vocation de l'EMSOME que vous commandez ?


L'école militaire de spécialisation de l'outre-mer et de l'étranger, héritière des organismes précédents, s'étant consacrée depuis un siècle à l'étude et la préparation des personnels servant outre-mer, a capitalisé une expérience conséquente sur le domaine particulier qu'est l'Outre Mer français, à travers ses évolutions depuis 1902 :

1902-1945 : Section technique des troupes coloniales ;
1945: Section d'études et d'information des troupes coloniales (SEITC).
1955: Centre militaire d'information et de spécialisation sur l'Outre Mer (CMISOM).
1965 : Centre militaire d'information et de documentation sur l'outre mer.
2003 : Ecole militaire de spécialisation de l'Outre Mer et de l'étranger.
En novembre 2003, l'armée de Terre a transformé l'ancien CMIDOME en école militaire de spécialisation de l'outremer et de l'étranger. Cet organisme de formation du COFAT assure la mise en condition du personnel désigné pour une affectation de courte (4 à 6 mois) ou longue durée (2 ou 3 ans) hors de métropole. Le passage du CMIDOMEà l'EMSOME traduit essentiellement une dynamique nouvelle qui consiste à accroître le rayonnement d'un centre d'expertise par une démarche générale d'ouverture.

Désormais l'aire géographique traitée par l'EMSOME recouvre l'ensemble de la posture de l'armée de Terre à l'extérieur, quelle que soit la nature de la mission de la force engagée Secondairement, l'arme des troupes de marine, à l'instar des autres composantes identitaires de l'armée de Terre, s'adosse désormais à cette école où sont entreprises les actions propres à leur culture d'arme.

AROM : Quelles sont les idées directrices de la formation que l’EMSOME dispense aux officiers qu’elle reçoit ?

Les exigences du service OME imposent la compréhension des milieux socio-culturels incluant la connaissance des caractéristiques géographiques, historiques, économiques et géopolitiques. Centre d'expertise et organisme de formation pour le personnel désigné pour l'une des formes du service hors de métropole, le rôle de l'école
consiste à favoriser l'acquisition des principes comportementaux et du savoir être adaptés à l'environnement dans lequel le militaire accomplira sa mission. Cet aspect concourt directement à la capacité opérationnelle des formations stationnées outre-mer et à l'étranger. La politique de formation repose sur les directives de préparation opérationnelle de l'armée de Terre et sur l'expérience accumulée par l'école (45 destinations traitées ou veillées en 2004) enrichie de l'étude des enseignements tirés après
chaque mission ou opération. La démarche classique par zone géographique se complète désormais d'une approche selon des grands thèmes de géopolitique tels que l'Islam, le terrorisme, les enfants sol- dats ou la géopolitique de l'eau en Afrique subsaharienne. Ces travaux sont menés par les instructeurs militaires en liaison avec des universitaires, conférenciersà l'EMS0ME. Ces experts appartiennent à des organismes spécialisés dans les questions de géopolitique, d'économie, de géographie ou d'histoire. Cette vision globale doit permettre aux chefs militaires engagés en mission opérationnelle d'aborder ces questions et situations avec suffisamment d'éléments de
connaissance et de réflexion pour leur propre appréciation de situation, le moment venu, sur le terrain, dans l'action.

AROM : Quels sont les instructeurs dont vous disposez ? Leur enseignement est-il complété par des expériences extérieures ?


La formation au service Outre Mer et à l'étranger est assurée d'une part par les instructeurs affectés à l'école, recrutés pour leur expérience du service hors de métropole acquise par de nombreuses missions, d'autre part par des officiers experts de questions géopolitiques appartenantà des organismes militaires traitant de ces domaines (l'OTAN, le terrorisme, la coopération militaire et de défense..), mais aussi par des universitaires, chercheurs ou journalistes, chargés de conférences à l'école. Ces conférenciers civils auxquels nous faisons appel sont d'éminents historiens, chercheurs ou sociologues appartenantà des organismes spécialisés, experts de domaines tels que l'Islam pour Mr Sfeir, le Proche Orient par Mme Levallois, ou les questions de géopolitique par M. Chaigneau ou M. Denecé

Parmi les organismes partenaires, il est à noter :l’Académie des sciences de l'outre-mer, l’Université de Lyon, le Centre d'études stratégiques et diplomatiques, Les Cahiers de l'Orient, l’Agence française de développement Ministère des Affaires Etrangères ; RFO ; la Commission parlementaire pour l’Europe Centre français du renseignement ; les Cahiers d'études africaines Académie de Guadeloupe; l’Ecole de commerce de Lille.

AROM : Si j’ai bien compris, l’EMSOME entretient d’une manière générale la culture coloniale qui était autrefois celles des “Troupes coloniales” rattachées au Ministère de la France d’Outre Mer, en particulier en participant à la réalisation de la revue “l’Ancre d’Or” et en supervisant le Musée des Troupes Coloniales de Frejus ?


L'EMSOME suit le déroulement des opérations sur les différents théâtres afin d'en tirer les enseignements nécessairesà l'adaptation du contenu de la formation qui est dispensée. En effet, la culture coloniale, celle des “bâtisseurs d'empire” d'hier, anime l'EMSOME à plusieurs titres, d'abord par la responsabilité du général commandant l'école, gardien des traditions de l'arme des troupes de marine, héritière des troupes coloniales. Le personnel de cette arme cultive toujours cet état d'esprit de nos anciens, cette aptitude à s'intéresser et comprendre l'autre, reposant sur la connaissance, sur la curiosité, sur la faculté d'adaptation et sur l'étude des récits de nos illustres prédécesseurs. Ainsi, l'école détient les mémoires réalisés par les officiers coloniaux de retour de leurs séjours indochinois ou africains. Ces documents historiques sont à la disposition de tous ceux qui s'intéressent à ces questions et qui souhaitent comprendre les conditions dans lesquelles les officiers des années 1955-1970 ont pu analyser leurs expériences, L'école participe à entretenir ces liens non seulement avec nos frères d'armes africains mais aussi avec ceux d'autres continents. Si aujourd'hui les relations avec nos alliés européens se sont multipliées (Allemagne, Royaume Uni, Pays-Bas, Autriche, Grèce), les liens qui nous unissent à nos frères d'armes africains sont le fruit de cette histoire commune. L'école accueille ainsi régulièrement des délégations ou des stagiaires étrangers à Rueil Malmaison Les troupes de marine ayant vocationà servir prioritairement outre-mer et à l'étranger, c'est donc logiquement que le personnel de l'EMSOME est issu majoritairement, mais sans exclusive, de cette arme.

Quelle est l’implantation actuelle des troupes outre-mer et à l’étranger La posture militaire de l'armée de Terre, outre-mer et à l'étranger, s'organise autour de trois types de forces, les forces de présence, les forces de souveraineté et les forces de circonstance. Par ailleurs, l'armée de Terre participeà des missions particulières d'aide au développement dans les départements et collectivités d'outre-mer (service militaire adapté) et de coopération militaire et défense à l'étranger. Les forces de présence sont déployées hors du territoire national, dans le cadre de la prévention des crises. Ces forces stationnent dans des pays liés à la France par des accords de défense (Sénégal, Gabon, Djibouti et Côte Noire).

Les forces de souveraineté, en garnison dans nos départements et collectivités d'outremer, assurent les missions relevant de la posture permanente de sûreté. Les forces de circonstance répondent aux obligations internationales de la France et à la nécessité de protéger ou défendre des intérêts vitaux. En 2004, la France entretenait environ 18 000 hommes hors du territoire métropolitain et à l'étranger.

AROM : Le vice amiral Rollin qui dirige l’opération Beryx d’aide aux sinistrés de Sumatra à bord de la Jeanne d’Arc a déclaré : “Militaires et humanitaires sont côte à côte dans une synergie naturelle”. De son côté, le ministre Michel Barnier a proposé de mettre sur pied un corps européen d’aide humanitaire. L’EMSOME peut-elle ou doit-elle jouer un rôle dans la formation des militaires français dans des opérations avec les humanitaires afin de développer la synergie préconisée par l’amiral ?


L’EMSOME n’a pas de responsabilité ou d’action directeà exercer dans ce domaine qui relève de l’état-major des armées. Cependant, dans le cadre des formations que nous dispensons et notamment la compréhension des mécanismes qui agissent sur les crises et l’approche socio-culturelle des milieux cotoyés dans nos missions hors de France, nous contribuons à favoriser des synergies parmi les acteurs militaires et non militaires qui opèrent dans la gestion des crises de toute nature.

Les administrateurs civils victimes des Japonais et du Viet-Minh (1945-1953)


A la déclaration de la guerre en août 1939 le Ministre de la France d'Outre Mer G. Mandel renvoie tous les administrateurs des Services civils de l'Indochine, alors en congé en métropole, rejoindre leurs postes dans l'Union, soit dans les Services des Capitales, soit comme chefs de province de la colonie de Cochinchine, soit comme Résidents dans les trois Protectorats. Lors de l'armistice de 1940, le général Catroux, Gouverneur Général, avant de céder son poste à l'amiral Decoux et de rejoindre le Général de Gaulle, laisse une consigne simple : " chacun doit rester à son poste ". Tous les administrateurs restent donc à leur poste durant le “proconsulat” de Decoux, tenants de l'autorité de la France elle même reconnue par le Japon en guerre contre l'Angleterre et les Etats-Unis.

Les victimes des Japonais

Le 9 mars 1945 c'est l'ultimatum. Le Japon prend le pouvoir. L'armée française est désarmée ou doit se réfugier en Chine. Le Gouverneur Général et ses collaborateurs sont arrêtés. Tous les administrateurs sont dépouillés de leurs fonctions et chassés de leur résidence, au mieux...

… Au mieux car certains connaissent une fin dramatique :

- Au Tonkin se joue un nouveau drame à Langson, dont le nom retentit tristement dans l'histoire de la France coloniale : le 9 mars le Commandant local japonais arrête par traîtrise le Résident Camille Auphelle et le Commandant de la garnison le Colonel Robert. Le 12 mars ceux-ci sont décapités au sabre ainsi que le général Lemonnier commandant le secteur .Un millier de personnes sont massacrées (Le Colonel et deux Capitaines japonais reconnus responsables seront jugés et fusillés à Saigon 6 ans plus tard).

- En Annam le Résident Supérieur Jean Haelewyn, son adjoint Ed. Delsalle et le frère de ce dernier sont amenés en brousse par la gendarmerie japonaise. Ils seront décapités près de Kratié 8 jours après la capitulation (les assassins seront jugés et fusillés)

- Au Cambodge le chef adjoint du Cabinet du Résident Supérieur R. Halmagrand est tué d'une rafale de fusil-mitrailleur à Pnom-Penh, tandis que le Résident Stung-Treng est enlevé et massacré.

- Au Laos le Résident de Thakhek, René Colin, alors en tournée refuse de traverser le Mékong et rejoint son poste “pour partager le sort de ses administrés”. Il sera massacré à la mitraillette en même temps que deux évêques quelques jours plus tard, sa famille et tous les autres Français étant internés… Son adjoint Bondet de la Bernardie qui a résisté avec la garde indochinoise est, de son côté massacré le 15 mars. Plus au sud, à Saravane c'est le Résident Fr. Lagrolet qui est assassiné avec son collègue Ph. Grignon du Moulin, et l'Inspecteur de la garde indochinoise, tous victimes d'une rébellion des gardes manipulés par le Viet-Minh. Mais tout ne se joue pas aux portes des Résidences. Un certain nombre d'administrateurs décidés à continuer la lutte se sont joints à des guérillas entretenues en brousse par des militaires. Ainsi au Cambodge, M. Dupuis, adjointà Kompong-Thom prend la brousse avec 150 gardes indochinois. La petite équipe, sans radio ni ravitaillement tient jusqu'au 18 mai. Assaillis, blessés, ils sont tous achevés.

- En Cochinchine, le chef de la province de Long-Xuyen, P. Guidi (comme son voisin de Cantho, Montaigut) participeà des groupes d'autodéfense (dont celui du célèbre Capitaine d'Hers). Il parviendra à se faire considérer comme prisonnier de guerre et sauvera ainsi sa peau. Ces résistances sporadiques sont encouragées et aidées - faiblement à vrai dire - par les parachutages opérés à partir de l'Inde par les Services anglais, surtout en Haute Région. Sous l'Uniforme du Corps Léger d'Intervention (C.L.I) deux Administrateurs trouveront la mort en opération en avril 1945 : Albert Vernier puis peu après Pierre Blanc à Sonla (avec le commando Dampierre).

Les Victimes du Viet-Minh

L'Empire du Soleil Levant capitule le 14 août 1945. De Gaulle qui, au nom de la France libre, a déclaré la guerre au Japon, est représenté à la cérémonie de capitulation sur “Le Missouri” par le Général Leclerc. Mais la chute du Japon ne signifie pas en Indochine, le retour de la paix. Tant s'en faut… Comme l'écrit le général Gras, “le coup du 9 mars a ouvert soudain l'Indochine au Viet- Minh, c'est-à-dire au communisme”. Dès le mois de mai Ho Chi Minh contrôle 6 provinces du Tonkin (un million d'habitants) ; le mot d'ordre est lancé “doc-lap” c'est-à-dire “indépendance”. Un nouveau combat sous une toute autre forme, mais tout aussi meurtrier, commence. Les Administrateurs y participent au titre de la relève dès fin août 1945, soit avec l'armée soit au titre - plus civil - du Corps de Liaison Administrative d'Extrême Orient (C.L.A.E.O.). Pour y représenter la France J. Cédille est parachuté en Cochinchine (arrêté un temps par les Japonais) et P. Messmer au Tonkin (emprisonné par les Viets) dès septembre 1945.

Issus du C.L.I. créé dès 1953 en Algérie, 35 administrateurs débarquent à Saigon avec les unités du Général Leclerc. Un peu plus tard arrive la vingtaine d'élèves administrateurs qui avaient gagné leur galon d'Aspirant au Peloton de Mont de Marsan de la 9ème DIC créée spécialement pour eux. D'autres sont parachutés directement au Laos. Dans des conditions bien différentes de celles qu'avaient connues leurs prédécesseurs du “temps de la paix” ces administrateurs du “temps de la guerre” recommencent à faire leur métier qui devient très dangereux. L'assassinat dans des conditions atroces de l'ancien Administrateur Supérieur Kwang-Tcheou-Wan, J. Prévot

et de son épouse pendant l'horrible massacre de la cité Heraud (près de Saigon) témoigne de l'insécurité du pays et même du sadisme des émeutiers. Mêlés aux régiments tout juste débarqués, les administrateurs paient de leur vie la “reconquête” de la Cochinchine : Y. Truck et R. Achard près de Saigon, J. Rouvin à Chaudoc, J. le Garreres à Bien-Hoa, tandis que P. Anthonioz alors Capitaine à la 9ème DIC est gravement blessé à Soctrang. Après l'échec de la conférence de Fontainebleau et le soulèvement de décembre1946 à Hanoï du Viet-Minh, c'est en fait la guerre qui commence dans les pays vietnamiens et s'étend comme la gangrène dans les deux protectorats bouddhistes. Même dans ces royaumes “pacifiques” les représentants du pouvoir civil français paient de leur vie l'action des guérilléros communisants :

- Au Laos l'Administrateur Lanfranchi est assassiné le 14 mars 1947 sur la route qui le conduit à la première assemblée consultative à Vientiane.

- Au Cambodge le Commissaire de la République de Raymond est assassiné le 29 Octobre 1951 en son palais de Pnom-Penh.

- Dans les pays Moï, “Les PMSI” (Pas encore rattachés officiellement au Vietnam) A. Scheurer et B. Mathis trouvent la mort en 1948 à Ban-Me-Thuot, suivis dans leur destin tragique par P. Vidal en 1950 et R. Villanove en 1952. Mais c'est cependant au Vietnam dans les “3 Ky” que les administrateurs ont été les plus nombreux à tomber dans des embuscades montées par les bandes Viet Minh, bien avant les grandes batailles du type Dien Bien Phu.

- En Annam : J. Gaudart est victime d'une embuscade dès 1947 à Quang-Tri.

- Au Tonkin, Samson-Carette en 1948 à Cao-Bang puis M. Roubaud en 1949 à Lao-Kay tombent également dans des embuscades.

- En Cochinchine, après la période de la “pacification” de 1945-1946 les administrateurs qui dépendent alors du Gouvernement cochinchinois protégé par la France, paient de leur vie leur position de “fonctionnaires vietnamiens de nationalité française”.

Parmi ces victimes du devoir deux méritent particulièrement de rester dans les mémoires :
L. Barbagelata dit “Barba de Travinh”, chef de province à 30 ans est doté d'une personnalité hors du commun. Il tombe avec son escorte dans une embuscade sur la route de Travinh, le 22 avril 1947. L'horreur de la découverte des corps sans vie le lendemain montre bien la cruauté de l'adversaire. “Les cadavres sont nus et gonflés, organes génitaux coupés, bambous plantés dans le coeur. Certains ont la tête tranchée ; l'Administrateur Barbagelata est retrouvé plus loin ; son corps est nu et écrasé de coups de bâtons de la tête aux pieds”.

Deux ans plus tard, l'Etat du Vietnam sous la présidence de Bao Daï, est indépendant dans “l'union française”. Paul Rémy, délégué à Hoc Mon, joue pleinement le jeu“Fonctionnaire vietnamien de race française” écrit-il,“j'ai un chef vietnamien et des subordonnés vietnamiens, je ne dépends ni des militaires ni de la représentation diplomatique française en Indochine ; quand je m'en irai mon successeur sera un fonctionnaire vietnamien. Je travaille pour lui passer ma circonscription en bon état”… …En bon état !... Le 6 novembre 1953, Rémy saute sur une mine au “Carrefour Viet-Minh” de sa circonscription. Benjamin des aspirants de Mont de Marsan, dernière victime des administrateurs restés à leur poste, 6 mois seulement avant les accords de Genève…

Au total sur un effectif moyen de quelque 300 administrateurs, 32 des promotions de l'ENFOM de 1921 à 1944 sont tombés à leur poste, victimes des Japonais puis des Viets, dans les montagnes et les rizières de l'ancienne " Perle de l'Empire ". Ne méritent-ils pas que leurs compatriotes s'en souviennent ?


Voir brochure préfacée par E. Bollaert “Saigon 9 mars 45
- 9 mars 48” ; la France d'Outre Mer 1930-1960
(Chapitre Indochine) Karthala 2003 ; Regards sur
l'Indochine -CHEAM ARRI 2004.


Retour à Saigon - Jean de la Guérivière


Longtemps responsable du département Afrique-Asie au journal Le Monde, Jean de la Guérivière aévoqué sans tabou les rapports des Français avec leurs anciens colonisés d’Afrique noire et du Maghreb dans Les Fous d’Afrique (Le Seuil, 2001) et dans Amère Méditerranée (Le Seuil, 2004). Pour achever sa “trilogie impériale”, il vient de séjourner dans l’ancienne Indochine française, trente ans après avoir couvert la fin de la guerre américaine et la chute de Saigon. Voici quelques unes de ses impressions.

“Le Sud-Vietnam est entré dans l’éternité communiste”, écrivais-je dans Le Monde, au retour de Saigon en juillet 1975. Je me trompais. Parce que – ce n’était pas de ma faute – je ne pouvais prévoir ni l’effondrement de l’URSS, soutien principal de Hanoi, ni le ralliement actuel de la Chine à l’économie de marché. Et aussi parce que – ce fut mon tort – je sous-estimais la capacité de résistance passive des“Sudistes”, leur faculté de n’en faire qu’à leur tête tout en courbant l’échine. Je savais par mes confrères journalistes et par mes contacts vietnamiens que depuis dix ans les choses avaient bien changé dans l’ancienne Saigon rebaptisée d’un nom long comme un catalogue de promesses communistes, mais à ce point là, je ne l’imaginais pas !


Première surprise : voilà qu’à l’aéroport de Hué, où j’avais passé quelques jours après une première étape à Hanoi, on enregistre ma valise pour « SGN », l’identifiant de l’ancienne capitale « fantoche ». Je crus à une nonchalance« sudiste », à une soudaine pénurie socialiste d’étiquettes neuves. Mais non ! Renseignements pris, il se confirme que le code international (IATA) d’Ho Chi Minh-Ville est resté “SGN”. Normal, après tout, puisque,à votre arrivée à Tan Shon Nhut, il y a une chance sur deux pour que votre taxi soit un véhicule bleu de la compagnie Saigon Taxi. La grande agence gouvernementale de tourisme, celle qui gère beaucoup d’hôtels dans tout le pays, vend les billets de Vietnam Airlines, s’occupe de la prolongation des visas, organise des croisières sur le Mékong et fournit des guides francophones, elle s’appelle Saigontourist. Il y a des cigarettes Saigon, un cybercafé Saigon Net, un quotidien en anglais The Saigon Times, un autre en vietnamien dont le titre est Saigon.

Un somptueux Saigon Hotel a récemment été construit non loin du bras d’eau, qui, bien sûr, reste la« Rivière de Saigon » sur le plan de la ville destiné aux Occidentaux. À croire que toute la capitale sudiste n’aspire qu’à retrouver son ancien nom, apparemment « vendeur» pour le tourisme international. Au début, avec les officiels, je crus bien faire en m’appliquant à ne la désigner que sous son appellation de ville « libérée ». Et bien, tans pis pour la filleule de l’oncle Ho ! même les hiérarques du régime m’ont fait comprendre qu’ils n’en demandaient pas tant.

Vogue du « vieux style colonial»

Les chaînes internationales Novotel, Sheraton, Hyatt etc. ont déjà ou vont avoir un établissement dans une Ho Chi Min-Ville ouverte aux investisseurs étrangers. Mais ce qui marche le mieux, ce sont les anciens hôtels rénovés, ceux qui cadrent avec ce que la publicité touristique appelle “le vieux style colonial” sans y mettre de malveillance. Malgré ses reproductions d’affiches d’avant-guerre faisant de la réclame pour le Pernod, le Continental n’est plus ce qu’il était. Une espèce de pizzeria a remplacé la terrasse ouverte qui fut si longtemps le rendez-vous du tout- Saigon. Non, le must, c’est le Majestic, l’ancien palace des années 1920, célèbre pour ses chambres avec vue imprenable sur le port, restauré “à l’identique” à grand renfort d’Art déco et d’Art nouveau. On ne va pas se plaindre que la mariée est trop belle mais il est permis de penser que, tout en étant techniquement parfait, ça manque de patine,ça frise le pastiche.

C’est aussi avec une sensation de pastiche de la vie coloniale qu’on monte sur les cyclopousses. Dans les semaines qui suivirent la chute de Saigon, j’admirais de pouvoir continuer à me faire trimbaler sur cette invention d’un Français. Au milieu des rues devenues quasi désertes et silencieuses, je croyais vivre les dernières heures de ce symbole de la feu Indochine. Les soldats du Nord qui me regardaient passer sans réagir allaient bientôt mettre le holà à cette “exploitation de l’homme par l’homme”, pensais- je. Et bien non ! Le cyclo est toujours là, en faction à la sortie des hôtels et restaurants, concurrencé par le “moto-taxi” mais pas condamné comme politiquement incorrect. On se dit d’abord que seule la nécessité pousse les innombrables vendeurs ambulants qui proposent à tous les coins de rue vieilles cartes postales, vieux timbres, vieux billets d’avant 1954.

Et puis on constate que l’imagerie d’antan subsiste volontairement jusque dans les bâtiments publics, telle la Poste centrale où la carte murale représentant le réseau télégraphique de l’Indochine française en 1930 trône toujours au dessus des cabines du téléphone international.

Francophonie cachée

En mai 1975, quand les vainqueurs permirent à la presse étrangère d’envoyer ses premiers papiers après une semaine d’interruption totale des communications avec l’extérieur, la voie télégraphique (via Hanoi et sa censure) fut la seule autorisée, le télex restant coupé. C’est donc aux guichets de cette Poste centrale que je remettais des “télégrammes” longs de 3000 mots que d’aimables préposées comptaient un à un pour établir une facture juste (et salée). Un jour, l’une d’elles, qui prenait tout son temps pour cette tâche, au lieu de s’en acquitter mécaniquement, m’avoua la raison de sa lenteur: elle comprenait bien le français et mon texte “l’intéressait”. Cela ne risque pas d’arriver aujourd’hui. Les Français doivent se faire une raison : presque plus personne ne parle spontanément leur langue au Vietnam. Panique des intéressés si, à une réception d’hôtel présentée comme “francophone” dans un guide complaisant, vous engagez une conversation allant au-delà du “bonjour” “aurevoir” !

On prend pitié du petit personnel, on se fatigue et on finit par adopter l’anglais basique international partout où l’on passe, malgré les résolutions prises au nom de la francophonie militante. Et l’on a tort ! Deux fois de suite, je déjeunai au restaurant Brodart, rue Dong Khoi ( ex-rue Tu Do, ex-rue Catinat), en commandant mes plats dans la langue du général Westmoreland ; jusqu’au jour où, le serveur, me voyant feuilleter le Courrier du Vietnam, mince quotidien francophone, se fit un plaisir de changer d’idiome. Il avait suivi une formation chez nous ; il appartenait à une famille qui avait travaillé avec nous, et il était heureux de le montrer.

Il y a deux sortes de français au Vietnam. D’abord le français touchant et un peu rouillé des anciens, ces gens qui vous abordent parfois près des lieux touristiques (la cathédrale, toujours pimpante et bien remplie dans le centre ville ; la Poste centrale ; l’ancien quai des Messageries maritimes) en vous racontant qu’ils sont d’anciens combattants ou d’anciens professeurs mis à la retraite en 1975. Ensuite le français “moderne” des jeunes qui l’ont choisi comme langue étrangère dans leur lycée puis leur faculté. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit, rêvant d’un emploi comme guide francophone d’une agence de tourisme ou d’un contrat avec une des grandes sociétés françaises installées au Vietnam. (À condition que celles-ci ne continuent pas à choisir les candidats en fonction de leur niveau … en anglais.)

C’est une francophonie presque cachée, une francophonie qu’il faut susciter, en cessant de partir battu d’avance dans la confrontation avec l’envahissant anglo-américain.

Le retour des Vietkieus

D’autres vecteurs de la francophonie sont les Vietkieus, les “Vietnamiens de l’étranger”, c’est ainsi que les auto- rités appellent pudiquement les boat people et leurs enfants. Aujourd’hui les Vietkieus reviennent par milliers. Provisoirement le plus souvent, pour rapporter sur le sol natal les cendres des ancêtres morts en exil, ou pour mettre au point quelque petit projet commercial pompeusement appelé “joint venture” avec des parents restés au pays. Définitivement parfois, s’ils ont trouvé un “créneau” dans une économie locale ouverte à toutes les innovations et toutes les combines de l’import-export, malgré le blabla marxiste officiel. Les Vietkieus ont bouleversé les habitudes et les mentalités. Il y en a dans beaucoup de familles, dispersés sur tous les continents. Leur passage ou leur existence à distance allège le carcan officiel, le rend plus supportable, voire inopérant. Il suffit de savoir qu’on peut aller changer d’air chez eux, à l’étranger, ou leur demander d’apporter ce qui manque encore sur place. Et puis il y a l’Internet. Longtemps le régime a pu contrôler les communications, en ouvrant certaines lettres, en écoutant quelques suspects au téléphone. Il n’avait pas les moyens de le faire systématiquement mais il suffisait que ce soit possible.


L’Internet a rendu caduques ces bonnes vieilles méthodes d’intimidation communistes. Grâce à lui, Ho Chi Minh-Ville vit à l’unisson de la diaspora, elle n’est plus enfermée. Paradoxalement, la fuite des boat people aura servi à ça. Puisqu’on ne peut pas empêcher le mouvement, suivonsle, semblent penser les autorités, qu’au moins ça apporte
des dollars et des euros. On est de moins en moins regardant sur le passé des “enfants prodigues”. Hanoi ne reconnaît pas la double nationalité. Naturalisée française ou non, toute personne née au Vietnam qui sollicite un visa doit remplir un questionnaire rédigé en vietnamien. Ce document a toujours été indiscret. Par exemple, question numéro 9 : “Date à laquelle vous avez quitté le Vietnam, raison, forme de départ ?” Difficile à remplir ce questionnaire pour un boat people ! Sauf que maintenant, le consulat laisse courir. Le demandeur répond froidement : “En 1977, en bateau”. Commentaire d’un Vietkieu, mon voisin d’avion : “Tout le monde comprend ce que ça veut dire et tout le monde s’en fout”.

Des Vietnamiens obèses ?...


Un des musées qui attirent le plus de visiteurs à Ho Chi Minh-Ville est situé 28 rue Vo Van Tan. On y voit la guillotine, “importée de France au début du XXe siècle”, qui, en 1960, trancha la tête de Hoang Le Kha, “patriote assassiné sur ordre d’une cour militaire spéciale du gouvernement sud-vietnamien pour avoir exécuté un informateur de police” On y contemple surtout une reconstitution des “cages à tigres” du bagne de Poulo Condor où Diem et Thieu faisaient enfermer leurs adversaires “avec la complicité des USA”.

Plus diverses armes de destruction massive, telle une bombe CBU-55B semblable à celle qu’un avion américain lâcha le 9 avril 1975 près de Xuan Loc, parce que le Pentagone espérait stopper la progression des blindés communistes vers Saigon avec cet engin dont l’explosion fait éclater les poumons en pompant l’oxygène sur un rayon d’un demi-kilomètre. Longtemps ce lieu s’appela “Musée des Crimes de guerre américains”. On l’a rebaptisé d’un nom savamment neutre :“Musée des objets témoins de guerre”. Plus question de heurter frontalement l’un des principaux partenaires commerciaux. Le drapeau tricolore et la bannière étoilée flottent ensemble avenue Le Duan, au dessus des immeubles voisins que sont les consulats de la France et des Etats-Unis, après avoir été leurs ambassades respectives au Sud- Vietnam.

Le bâtiment français, entouré d’un parc, n’a pas changé. Celui des Américains, si. L’ancien bunker de béton armé, d’où partirent à l’aube du 30 avril 1975 les derniers hélicoptères chargés d’agents de la CIA et de Vietnamiens “prioritaires”, a été démoli en 1998 (non sans mal car la bête se défendit) et remplacé par un ensemble horizontal plus modeste, avec un seul étage et une toiture verte d’assez bel effet. Je suis resté longtemps planté devant cette enceinte, revivant le fabuleux pont aérien. Je n’étais pas seul. Autour de moi, plusieurs dizaines de Vietnamiens faisaient la queue jusque dans la rue… pour un visa. Le temps des évacués en catastrophe et celui des boat people sont finis. Voici venu celui des candidats au départ légal, toléré au nom de l’ “ouverture”. Des
Vietnamiens vont aux Etats-Unis ; d’autres en reviennent, puisque, bien sûr, il y a des Vietkieus américains. On les reconnaît assez facilement, trente ans d’alimentation yankee ont réussi à créer l’impensable : des Vietnamiens obèses.


L'ASEAN en voie d'élargissement - Colonel Georges Demaison


Le Colonel Demaison des Troupes de Marine, a longuement séjourné en extrême Orient (Chine, Indes, Indochine). Pendant plus de dix ans, comme Vice-Président de l'Association Nationale des Anciens d'Indochine (A.N.A.I.) il n'a jamais cessé de suivre les événements de cette région. Il est actuellement Vice président de " Citadelles et Maquis d'Indochine 1939-1945"


La dernière réunion plénière de l'association des nations de l'Asie du Sud-Est (ASEAN) s'est tenue à Vientiane, dans les derniers jours de novembre 2004. (voir article bulletin n°4 page 9). Elle souffre de deux maux originels : la disparité des niveaux économiques des participants et l'absence d'un vrai leader, pour tirer l'organisme vers un progrès quantifiable de l'économie du groupe. Pour ce qui est des niveaux de richesse des membres, on a pu parler d'une “ASEAN à deux vitesses” avec un groupe vivant dans une certaine aisance :
Singapour, Brunei, Malaisie, Thaïlande et un groupe connaissant une certaine précarité : Birmanie, Cambodge, Laos, Vietnam, Philippines et Indonésie, confrontés à l'intégrisme islamique, se situent à un niveau intermédiaire. La lacune résultant de l'absence d'un pays leader s'est fait sentir dès la naissance de l'ASEAN. On a pu croire un moment que Singapour avait l'aptitude pour jouer ce rôle, mais il s'est vite avéré que la ville-Etat, malgré sa grande prospérité économique, manquerait de la surface (au propre et au figuré) pour s'imposer en position dominante indiscutable.


Quoi qu'il en soit, l'ASEAN existe et mérite que ses efforts soient loués dans sa quête opiniâtre d'une reconnaissance à tout le moins régionale. Sa réunion au Laos constitue un succès certain pour le pays organisateur. Malgré son retard économique l'ex-royaume du “Million d'éléphants” a fort valablement tenu son rôle d'hôte d'un forum marqué, qui plus est, d'une décision de très grande importance. Ces dernières années, l'habitude avait été prise d'élargir les réunions périodiques de l'ASEAN en invitant, en observateurs privilégiés, les trois grandes puissanceséconomiques régionales, la Chine, le Japon et la Corée du Sud (“l'ASEAN + 3”).

Ainsi se concrétisaient les efforts déployés par les uns et les autres pour créer des “marchés communs”, la première initiative revenant à Singapour, avec sa tentative de “marché régional” en 2001, sans grand succès, lors du “Forum de coopérationéconomique Asie et Pacifique”. Différentes approches ont abouti à la décision prise à Vientiane de ne plus employer l'expression “l'ASEAN + 3” mais celle d'un forum de l'Est asiatique, autrement dit une ASEAN à 13 membres ? il est évidemment à craindre que la rivalité séculaire de Pékin et Tokyo ne s'en trouve avivée, Tokyo souffrant cruellement de son manque à peu près total de ressources naturelles face à une Chine à qui tout semble réussir : croissance exceptionnelle (plus de 9%), jeux olympiques de 2008 Pékin, intégration à l'OMC. Le duel entre les deux “grands” d'Extrême-Orient continue et autorise une réelle inquiétude pour l'avenir de la paix dans cette région du monde surpeuplée et aux potentialités commerciales sans égales. L'ASEAN a su se mettre au diapason de l'actualité en tenant un sommet exceptionnel le 6 janvier 2005 à Djakarta.

La réunion a été exclusivement consacrée au raz de marée le Tsunami du 26 décembre 2004. Présidée par le chef de l'Etat indonésien, Bambang Yudhoyono, il réunit des personnalités de niveau mondial tels, Kofi Annan, Colin Powell, Junichiro, Koizumi, en tout plus de 25 pays, organisations et banque internationales. La crédibilité de l'ASEAN se trouvera renforcée si cette réunion débouche sur une déclaration publique commune, en vue d'apporter une aide massive concertée aux pays de la région, si gravement sinistrés.


Regards sur la Mauritanie d'hier et d'aujourd'hui - Général Gilbert Chavannes


L'une des missions que s'est donnée AROM est de faire connaître, sous le signe de l'amitié, les réalités de l'actualité de nos anciennes colonies. Pour y parvenir, il est toujours bon de s'appuyer sur les grands témoignages du siècle passé.

Un étrange pays

Etrange pays où semble s'éroder le temps, s'effacer l'espace ! Espace sans limites autres qu'un fleuve au sud, un océan à l'Ouest, " le pays de Chinguett ", comme l'appelaient les Européens, au temps où le pape partageait le monde à partir du Méridien de l'Ile de fer, a toujours gardé les traces de sa civilisation et de ses traditions nées bien avant l'Hégire … mais les civilisations du désert, on le sait, n'ont pas de bases territoriales, mais sanguines. Ainsi, la Mauritanie n'a-t-elle pu être constituée en un Etat que tout récemment, à partir de tribus peu à peu agrégées par des étrangers - les blancs du Nord -.

La République Islamique de Mauritanie (R.I.M.) dotée de frontières internationales reconnues (aussi artificielles que possible et fragiles) n'a pas encore 50 ans. En fait, la Mauritanie n'a pas été colonisée, comme Pierre Messmer l'écrit dans " Les blancs s'en vont ". L'ancien Premier Ministre, premier Commandant civil à Atar en 1950, explique que les Maures qui s'affirment comme blancs se placent dans le même camp que les autres blancs venus de France qui ont exercé un temps très court le pouvoir sur les parcours de leurs tribus. Il n'y a pas eu de choc entre " Nazaréens " et Musulmans qui se sont respectés réciproquement, et pas non plus de conflits économiques car, remarque Messmer : " Aucun Français n'eût l'idée de devenir planteur de palmiers ou éleveur de chameaux ou de chèvres en ce pays.


Un homme sans l'Occident

Concernant la Mauritanie, il est un livre que je souhaiterais évoquer après avoir relu avec émotion " Un homme sans l'Occident " de Charles Diego, pseudonyme littéraire du Général Brosset. Ce livre publié aux éditions de Minuit en 1946 est précédé par une préface admirable de Vercors " portraits d'une amitié ". Personne n'a oublié l'épopée, digne des maréchaux de l'Empire, de ce général fougueux qui, à la tête de la 1ère Division Française Libre (ou 1ère DFL) enfonça les lignes forti fiées allemandes en Italie, débarqua en trombe en Provence puis, après la prise de Toulon, libéra Lyon en escaladant au volant de sa jeep les marches de l'Hôtel de Ville. Ce guerrier conduisant ses hommes à tombeau ouvert vers la victoire trouva la mort à 46 ans devant Belfort, le 20 novembre 1944. Mais sait-on qu'entre les années 20 et 30 il passa 7 ans de sa vie en Mauritanie dont il sut comprendre, dans leurs fibres les plus secrètes, la nature et l'habitant.

Il en surgit ce roman que Vercors aima tant, livre de géographie physique et humaine maisécrit sans la sécheresse scientifique d'un Théodore Monod, sans les vues aériennes d'un Saint Exupéry et sans le parti pris d'un Benoît-Méchin. Si vou vous y plongez, ce sera pour vous une initiation au désert, évitant tout exotisme de pacotille. Son héros, Sid Ahmed, vous fera connaître la vie de l’ “homme mauritanien fils des nuages et ami de la paix lointaine”, fier, indépendant, honnête et courageux. Il saura vous guider dans ce pays âpre mais ensorcelant où au sable succède la pierre, à l'erg succède le reg, mais où le désert n'est jamais vraiment le désert. Loin des oasis, l'on y découvre, quand ils ne sont pas ravagés par les nuées de criquets, des points d'eau et des fonds verdoyants de had, de graminées et d'acacias que broutent avec délices les chameaux et, plus loin encore, les antilopes, adax ou oryx. Il se dégage de ce livre, décrivant au quotidien “le pays des sables”, uneétrange poésie. Ne fut-il pas nommé “le pays du million de poètes” ? C'est sans doute là que le général Charles Diego Brosset prit goût aux grandes entreprises, aux grands espaces, à l'indépendance et à la liberté.

Ce rude pays a séduit et inspiré plus d'écrivains français de notre siècle qu'aucune autre colonie ; Psichari, Saint-Exupéry, Théodore Monod, sont devenus célèbres pour des oeuvres inspirées directement par leur séjour en Mauritanie. D'autres, comme Odette du Puigaudeau ou Diego Brosset moins célèbres en France, sont mieux connus par les Mauritaniens. Sahara de Brosset, sous le titre un peu énigmatique “Un homme sans l'Occident”, est un classique de la littérature mauritanienne en français ; le beau “Lever du soleil à Ouadane” a été longtemps un texte de dictée du certificat d'études.

Matériellement la plus pauvre, la Mauritanie fut intellectuellement et spirituellement la plus riche. Elle avait conquis ses colonisateurs. Pierre Messmer. Extrait de “Les blancs s'en vont”.


Une force rayonnante

" … Nous saurons aimer d'une même ardeur les joies de l'esprit et celles du corps, l'action et la méditation, mener la vie comme dans le rêve, ne pas plus sacrifier les femmes aux philosophes que les mathématiques à la bonne chère, comprendre Einstein, mais aussi un chef berbère, Stendhal, Freud et un Toucouleur, pénétrer Mozart ou Bach et conduire sa troupe au combat, mener du même coeur son cheval, un flirt, sa voiture, son savoir et son esprit critique, s'apprendre à courir, à nager, à comprendre l'Angleterre, l'U .R .R.S.S. la Chine, la chasse à la baleine, la théorie des quanta : en bref, saisir la vie, posséder Dieu, ne pas craindre, certes, de mourir, mais moins encore, Charles Diego Brosset mais moins surtout, de vivre ! "


Des hommes avec l'Occident

Aujourd'hui - soit un demi siècle après les séjours sahariens de notre héros - la Mauritanie s'est transformée. Moderne, elle exploite industriellement son minerai de fer et ses ressources halieutiques sans parler des perspectives du pétrole off-shore. Le hameau de Nouakchott est devenu la capitale d'un million d'habitants sur une population de trois millions. Fin 2003, juste avant sa disparition, le Président Mokhtar Ould Daddah en a donné une vision moderne dans son ouvrage “Ma Mauritanie contre vents et marées” … mais le désert, lui, n'a pas changé ! En 2004, 30.000 touristes français ont visité la Mauritanie. Si cette année vous suivez leur exemple en vous y attardant plus longuement que les sportifs aventureux du Paris-Dakar - et si vous avez la chance d'être accueilli sous la tente d'un campement tribal - vous deviendrez pour quelques heures, à votre tour, une femme ou un homme sans l'Occident.


Retour à Nouakchott

Née dans un site aussi ingrat que possible - un rag venté même pas au bord du rivage de sable qui s'étire à l'infini - la nouvelle capitale, voulue à la veille de l'indépendance de la Mauritanie par son premier président, Mokhtar Ould Daddah et le grand chef blanc Charles de Gaulle, a de quoi stupéfier le Français de retour, celui qui a visité en 1952 le pauvre ksar de 250 habitants autour de son modeste poste militaire qui a participé, de 1960 à 1964, pour le Groupe de la Caisse des Dépôts à la naissance de la ville nouvelle. Stupéfiantes, d'abord, les dimensions prises par l'aire urbaine : à 50 kms du nord au sud, on rencontre les premières cases de banco, ou surtout de parpaings, jalons d'une future appropriation du terrain. Ces " jalons”, on les trouve partout. Plus près du centre, les “importants”, les riches (c'est la même chose) ont vendu, sans bâtir, les terrains qui leur ont été donnés par l'Etat, pour s'installer plus loin en attendant une autre appropriation, valorisée par l'espoir de l'arrivée, bien plus tard, de la voirie.

Ainsi, aux quatre coins (je mettrais points) cardinaux s'enflent des bidonvilles, espaces de baraques en tôle ou même de huttes, tout à fait incontrôlées et incontrôlables. La superficie de la ville, divisée aujourd'hui en 6 arrondissements et 4 villages périphériques atteignait déjà en 1980 quelques 1300 km2. La capitale - en comptant les “non recensés” des bidonvilles - contiendraient à ce jour un million d'habitants !... C'est presque la moitié de la population totale de la Mauritanie… Il est plaisant à ce propos de rappeler que l'architecte, auteur du 1er plan d'urbanisme de 1958 prévoyait 10.000 habitants en 1ère étape, 30.000 en 2e étape, 15 ans plus tard !...


Et le Centre ? Comme toute ville créée sans passé, de toutes pièces, la nouvelle cité n'offre pas grand caractère. La perspective qui, dans le 1er plan masse, le ”germe” de la ville en forme d'oreille, devait s'étendre à partir de la Présidence a été “cassée” par l'implantation, incongrue en cet endroit, d'immeubles imprévus à l'origine. Ces opérations par la SUCIN (gérées par SCET Coopération) de 1959 à 64 : Présidence, Poste, Assemblée, prison ! ont encore pas mal d'allure avec leurs parements en pierre d'Atar. En fin de compte, ils ont bien vieilli. Quelques édifices rompent la monotonie du terrain d'une platitude parfaite : ce sont surtout les mosquées, nombreuses maintenant, dont les minarets rivalisent chacun avec son style particulier : la première mosquée, blanche, avec ses 15 coupoles en rangs serrés, mosquée marocaine inspirée de la Koutoubia, la mosquée construite par l'Arabie Saoudite dont on chercherait en vain à quel style elle se réfère … les immeubles commerciaux, les banques, les hôtels modernes, les ambassades nombreuses, quelques villas à étages des riches, contribuent à confirmer que la capitale des sables est maintenant une capitale tout court, une grande ville qui soutient la comparaison avec plusieurs de ses soeurs de l'Afrique de l'Ouest. On retiendra l'heureuse prolifération des haies de verdure, voire des fleurs, qui bordent les bâtiments, et surtout les arbres - certains hauts comme 3 étages - qui enlèvent pour toujours à la cité son aspect désertique primitif, sans parler des dattiers qui composent une vraie palmeraie, là où n'étaient jadis que des jardins maraîchers aux légumes rares, nourris du surplus des eaux non traitées.


Spectaculaire aussi, essentiel pour la fonction de la capitale comme élément moteur de la vie économique du pays, le nouveau port en eaux profondes construit par les Chinois qui réconcilie la ville et l'Océan. C'est " le port de l'Amitié " comme le rappelle la plaque posée à l'entrée des quais où se pressent, derrière les grues, les navires de haute mer, caboteurs ou porte containers venus du monde entier … le phare qui domine la dune près du quai semble un symbole d'Occident dont la tour répond ou complète celle des mosquées plus loin. Bidonvilles, bâtiments, port, marché, constituent sur le plan humain, dans leur matérialité visible, les prolongements, voulus ou non, du pouvoir (le “Raj “ disent les Hindous).

Le pouvoir de l'Etat, avec un grand " P " agit en effet comme une pompe aspirante (les taxes, impôts perçus) et refoulante (les revenus distribués : salaires, travaux publics) en un point pratiquement unique dans le pays (exception faite de Nouhadibou). Il n'est que de contempler quelques images de cette agglomération tentaculaire moderne qui nie le désert ancestral : les multitudes de paraboles sur les toits, les embouteillages de voitures dans les rues (auxquels contribuent puissamment les conductrices locales), les puissantes grues du port, ou les réservoirs d'hydrocarbures près du wharf et aussi ce départ de la route goudronnée par la côte, vers Nouhadibou … et audelà vers le Maroc méridional pour comprendre (nul besoin de sociologues ou de prévisionnistes patentés) combien la Mauritanie de demain sera différente de ce qu'elle a été, de ce qu'elle est.

 

L'association des amis de la Mauritanie

Le présent continue à se conjuguer heureusement avec le passé au sein de l'association des amis de la Mauritanie. Celle-ci regroupe les " Blancs " -administrateurs, officiers, universitaires, ingénieurs, coopérants- qui ont connu la soif et la poussière, mais aussi les nuits froides d'étoiles dans les rags immenses ou les postes perdus avec leurs interlocuteurs " Beidanes " devenus leurs amis : ministres ou marabouts, diplomates ou instituteurs, tous mordus par le " pays du million de poètes ". Le Président d'honneur n'est-il pas Pierre Messmer qui n'a jamais oublié son commandement dans l'ADRAR des années 50 et vient encore participer, quand il peut, aux assemblées générales. Le Président, Raoul Caruba, Directeur de l'Institut des Relations Interuniversitaires avec la Mauritanie n'oublie jamais pour sa part qu'il est consul honoraire de la Mauritanie …. à Nice.

Le 18 février l'ambassadeur de Mauritanie à Paris, Sidi Mohamed Ould Boubakar, remettait à l'issue de l'assemblée générale de 2005 le diplôme du Mérite Mauritanien à une fidèle de l'association, l'historienne Geneviève Désiré- Vuillemin, dont les livres complètent avec bonheur “Un homme sans l'Occident”.

Jean Chevance

 

Des millions d'arbres dans le Sahel - Paul Blanc


Le Sénégal est depuis 1991 le théâtre d'une campagne de“forestation” (plutôt que de reforestation) en zone sahélienne assez réussie pour que le procédé qui en est l’instrument, “Irrigasc”, soit utilisé dans l’ensemble du Sahel recevant 300 millimètres de pluie.

Un nouveau système d'irrigation

De quoi s'agit-il ? Jacques Gasc, ingénieur agronome établi au Sénégal, spécialiste en hydraulique agricole africaine, a conçu et breveté le système d'irrigation aussi simple qu'efficace suivant : un manchon comportant une couronne en forme de tronc de cône en propylène d'une capacité d'un litre prolongée d'une gaine en polyéthylène, dégradable, légère, transparente et trouée, de 80 centimètres de long au total, est placé dans un trou creusé à la tarière puis rempli de terre et de sable. Un jeune plant de manguier ou d'anacardier surtout ou aussi de papayer, d'agrume, d'eucalyptus ou une bouture de manioc est mis en terre et jouxte le manchon. L'arrosage, à raison de 10 litres le premier jour se limite ensuite à un litre trois fois par semaine pendant dix-huit mois. Après environ un an le jeune manguier est greffé puis l'arbuste se développe, donne des fruits dès la troisième année et prend une allure d'adulte à la cinquième.

Les essais de la station de Bambey

Des essais comparatifs conduits à la station de Bambey ont fait apparaître une croissance double avec de dix à douze fois moins d'eau que dans le cas d’une irrigation traditionnelle. Pour le manioc, Irrigasc donne un rendement de quinze à vingt-cinq tonnes/hectares contre moins de 5 tonnes en deux saisons des pluies en culture traditionnelle et cinq fois moins de résultat pour dix fois plus d'eau avec une irrigation ordinaire. Ceci signifie à la limite que la plantation devient possible là où elle ne l'était pas.

Les premiers résultats

Sur le terrain, le candidat doit présenter une parcelle de terrain “propre” permettant de planter de 150 à 200 arbres, entourée d'une haie d'épineux contre les chèvres et disposant d'un puits. En fait, les paysans engagés dans l'opération l'ont conduite sans défaillance dans 99.6% des cas. Les plantations ont été réalisées dans la plupart des régions du Sénégal avec l'accent mis sur le Siné-Saloum où furent créées les premières plantations. A la fin 2004, sur 315.000 arbres plantés depuis 1992, 300.000 étaient en bonne santé : ce rendement de 95% peut être comparé à celui d’autres expériences conduites en zone sahélienne qui descend volontiers à 10% sinon moins !

Les dirigeants, les cadres et les paysans (et le fabricant de gaines) sont tous des Sénégalais, motivés et organisés comme j'ai pu le constater avec mes confrères de l'Académie des Sciences d'Outre Mer en décembre 2005. Seul expatrié, Jacques Gasc reste linspirateur de cette vaste opération qui d'ici cinq ans doit porter à un million
le nombre d'arbres plantés avec succès au Sénégal et qui commence à s'étendre au Mali et au Burkina Faso, si bien que sans un optimisme excessif on peut imaginer que dans une ou deux décennies l'ensemble de la bande sahélienne de l'Afrique se couvre de millions d'arbres fruitiers et de bois de chauffage. Ce succès n'a été rendu possible qu'avec le soutien actif, et pas seulement financier d'une vingtaine de clubs Rotary du Sénégal et de France, de Total-Sénégal, de la Confédération générale des Cadres et du Ministère Français de la Coopération, les uns et les autres étant impliqués dans les structures institutionnelles. Une heureuse réalité qu'AROM a plaisir à saluer.

Madagascar va mieux - Alain Deschamps


Madagascar va mieux. C'est ce que, dans le numéro 2 d'AROM, disait déjà Raymond Césaire à son retour de la Grande Île et que confirme un article publié par l'hebdomadaire britannique l'Economist dans son numéro du 1er janvier. Il y a deux ans, rappelle t-il, Madagascar était au bord de la guerre civile. Les deux candidats à l'élection pour la présidence de la République se prétendaient vainqueurs.

Les partisans du jeune prétendant, Marc Ravalomanana, avaient chassé de Tananarive, le jeune titulaire, Didier Ratsiraka. Les partisans de celui-ci avaient riposté par le blocus de la capitale. Il y avait eu une centaine de tués. L'incertitude dura six mois avant que Ratsiraka ne s'exile en France et soit condamné in absentia à 10 ans de travaux forcés pour détournement de fonds. Le calme revenu, la situation est a u j o u r d ' h u i , meilleure. Mais, en ville, les indigents, qui manifestaient pour la démocratie, font maintenant la queue pour le riz. Ils raccourcissent le nom de Ravalomanana en “R8” parce que 8, en malgache se dit valo. Ils inscrivent sur les murs : “R8 = famine” ! C'est que le candidat réformiste qu'ils ont élu pour le changement a imposé des réformes nécessaires mais douloureuses.

En mettant fin aux contrôles des prix du pétrole et du riz que regrettent ses électeurs. Ratsiraka avait fixé le prix du riz à un cours inférieur au cours normal du marché. Au grand dam des paysans, soit de 70% de la population, mais à la grande satisfaction des consommateurs urbains. Ravalomanana, en libérant les prix, a accru les revenus des ruraux mais rendu la vie plus difficile pour les citadins les plus pauvres. Pour amortir le choc, son gouvernement fournit des rations limitées de rizà un prix subventionné. C'est pour ce riz que les pauvres font la queue. Même si on grogne dans les queues et si tout n’est pas rose, la majorité des citadins reste favorable à R8, car (patron charismatique d'une entreprise de produits laitiers mué en politicien) il a fait beaucoup en 30 mois. L'économie connaît une croissance de l'ordre de 5% par an.

Les touristes et les exportateurs de tissus locaux, qui avaient déserté quand s'élevaient les barricades, sont désormais de retour. Le nouveau président semble avoir obtenu de bons résultats dans sa lutte contre la corruption. Son gouvernement paraît moins avide et plus efficace. Le cabinet a été réduit de 33 à 16 ministres, traités en fonction de leur capacité à atteindre les objectifs assignés. Or ces objectifs sont fort ambitieux : le ministre de l'économie et des finances doit, en 2005, porter le taux de croissance à 7% et ramener l'inflation à moins de 6% ; celui de l'éducation, construire 2000 salles de classe. Ceux qui n'atteignent pas les objectifs fixés perdent leur portefeuille. Ce fut, avant Noël, le cas de trois d'entre eux.

Longtemps client de la France, Madagascar s'est ouvert au reste du monde. L'obtention de visas d'entrée n'est plus une harassante épreuve. Les commerçants chinois sont partout. Des sociétés d'Etat moribondes comme Air Madagascar et la compagnie des chemins de fer sont maintenant gérées par des étrangers et seront privatisées. En août prochain Madagascar rejoindra la Communauté de développement sud africaine, forum politique et commercial à prépondérance anglophone. Beaucoup de Malgaches apprennent l'anglais, note avec satisfaction l'Economist, auquel les tendances libérales du nouveau pouvoir ne peuvent que plaire. Deux milliards de dollars de la dette malgache ont été annulés. L'Union Européenne a promis 900 millions d'Euros pour la réhabilitation d'un réseau routier en piteux état. La Banque Mondiale espère que l'expérience malgache sera un de ses “rares”, succès africain. Son représentant sur place parle“d'une période charnière où les choses commencent vraimentà bouger”.


Ravalomanana a l'ambitieux projet de réduire de moitié la pauvreté en dix ans. Outre la réhabilitation des routes qui permettra aux paysans d'acheminer leurs récoltes sur les marchés, il a lancé un vaste programme de construction d'écoles et dispensaires, Déjà le nombre des enfants d'âge scolaire inscrits dans les écoles est passé en deux ans de 69% à 82%.

Ces progrès ont surtout profité aux habitants des campagnes et des régions côtières précédemment négligées et dont le président, homme de la ville et des plateaux de l'intérieur, souhaite gagner les suffrages. Lesquels se portaient plus naturellement sur le côtier Ratsiraka. L’observateur du nouveau président se pose deux quetions:. Quelle est la profondeur de son engagement pour la démocratie ? Deux douzaines de prisonniers politiques restent, depuis les troubles de 2002, incarcérés sans jugement. En décembre dernier, des protestataires furent arrêtés après la fermeture par les autorités de 3 stations de radio privées. On dénonce une centralisation excessive du pouvoir présidentiel. On craint aussi de possibles conflits d'intérêt entre l'Etat et“l’empire commercial” du président qui vient d'y ajouter de nouvelles sociétés. Notamment une entreprise de travaux routiers. Celle-ci a déjà soumissionné pour des contrats publics. Mais on se rassure en constatant qu'elle n'en a décroché aucun !…


Une terre française dans le Pacifique nord par Jean Serjac


“Fini l'Empire ! En restent les “confettis” : les Dom Tom bien connus, et aussi les “TAAF” (Terres Australes Antarctiques Françaises), mais, pas du tout connues, les autres : les “Îles Eparses” (c'est leur nom), qui ceinturent la “Grande Île” (Madagascar) minuscules îlots à peine au-dessus des vagues, qui dépendent eux du Préfet de la République de la Réunion : Tromelin, Glorieuse, Europa, Bassas da India !… Et aussi, dans le Pacifique Nord, à la latitude de Panama, à la longitude de l'île de Pâque : l'île de la Passion, alias Clipperton (du nom d'un pirate anglais du 18è s. qui ne la vit jamais, même au bout de sa longue vue !).


Un peu de géographie

Ce territoire relève directement du Premier Ministre à Paris et, depuis un décret de 1936, par délégation, du haut commissaire en Polynésie française à Papeete, 5000 km plus loin, les juridictions compétentes pour leur part étant basées au Palais de Justice dans l'île de la Cité (Seine). Il s'agit d'un atoll inaccessible par gros temps, d'une superficie totale de 8 km2 dont seulement 1,5 km2 des terresémergées au ras des flots, à part un rocher volcanique culminantà 29 m. La majeure partie de la population est constituée de crabes immangeables dont le nombre dépasse les 10 millions … S 'y ajoutent des dizaines de milliers d'oiseaux migrateurs et quelques cocotiers survivant aux tempêtes périodiques, tous éléments d'un riche écosystème qui reste encore à être longuement étudié scientifiquement

“Triste tropique” ! comme disait Lévi-Strauss. Triste peut-être ; stratégique sûrement : si le port continental le plus voisin, Acapulco au Mexique est à 1240 km, l'atoll “perdu” est équidistant d'Hawaï, de Tahiti, de Vancouver … et de New York. Surtout, il commande (comme disent les marins) les débouchés du Canal de Panama vers l'Asie, comme son “voisin”, plus au Sud, les Galapagos, vers l'Océanie. Economique aussi, car outre le guano, autrefois si recherché (un stock de 12000 tonnes a été disputé entre compagnies minières vers 1900), l'île délimite une ZEE (zoneéconomique exclusive) de 200 miles de rayon, soit 435.622 km2 exactement (presque la surface de la France). Vaste espace réservé pour la pêche au thon et l'exploitation à venir des nodules métalliques, dans le champ Sud Est d'Hawaï sur environ 12 millions de km2…

Un peu d'histoire

Voilà pourquoi, sans doute, cette terre a connu une histoire beaucoup plus mouvementée que ce qu'on peut imaginer pour un îlot désert et isolé. Découvert en 1711, par la “Découverte”, un navire français, c'est seulement en 1858 que le lieutenant de vaisseau le Coat de Kerveguen prend, sur ordre de Napoléon III, possession de l'île au nom de la France, notification en étant faite en bonne et due forme au Consul de France à Honolulu : l'almanach du Gotha l'inscrit bien sur la liste des possessions françaises ... mais, en 1875 seulement !

A vrai dire, la France ne s'occupe guère de cette possession… et si Napoléon III s'intéresse au Mexique, c'est plutôt pour essayer d'y installer le malheureux Maximilien d'Autriche fusillé en 1867. On comprend que le gouvernement républicain qui a pris ensuite en main les destinées du Mexique n'ait guère de scrupulesà faire hisser le drapeau national sur l'île considérée comme prolongement naturel de son territoire (ainsi, on l'a vu, l'Argentine, il y a peu, partant en guerre pour récupérer les Falklands/Malouines !)… Protestations de la France … qui fait vérifier par ses forces navales du Pacifique, que le pavillon mexicain flotte sur le rocher … pendant que Mexico nomme un “Préfet” de “l'île de la Passion” et envoie un détachement occuper d'une manière permanente sa portion de “Territoire national”…

Ainsi débarque en 1905, sous les ordres du lieutenant Arnaud Y. Vignon (bon francophone issu d'une famille de Barcelonnette) une garnison d'une trentaine d'hommes. Arnaud est accompagné de sa jeune femme qui met au monde 4 ans plus tard le premier homme né su l'ilôt.1 Las !… La guerre éclate en 1914 et le gouvernement oublie tout simplement ses mexicains de Clipperton. En 1917 : un croiseur américain mouille au large et découvre la tragédie : il ne reste plus que 3 femmes (dont la veuve héroïque du lieutenant Arnaud) et 3 enfants vivants !... Dans les ambassades - moins tragiquement - les négociations continuent entre les deux républiques, la Française et la Mexicaine qui s'entendent pour demander un arbitrage au roi d'Italie, Emmanuel III. Le 28 janvier 1931, ce dernier rend sa sentence : Clipperton est Française …

Plus que 4 ans à attendre : en 1934 le journal officiel de Mexico supprime Clipperton de la liste des possessions mexicaines. Triomphe diplomatique international. La Jeanne d'Arc peut aller changer la couleur du pavillon flottant au vent et sceller sur le rocher une plaque en bronze matérialisant le droit, reconnu par l'ensemble des nations, de la France sur Clipperton/Passion. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Etats-Unis (par précaution contre les Japonais) occupent l'ilôt (le général de Gaulle ne se fait faute de rappeler à qui il appartient) et s'en retirent sans problèmes après la capitulation du Japon.

La paix revenue, les navires officiels ou de pêche, les scientifiques français et américains souvent associés, débarquent ou séjournent plus ou moins longtemps. Les projets se multiplient.

Un peu d'actualité

En temps de paix les journaux faute d'information doivent quand même trouver de quoi écrire. Ainsi en 1972, le journal “L'Opinion” peut-il publier 8 jours durant un reportage intitulé : “L'île de Clipperton ; une colonie française en gestation” faisant état des communiqués violemment anti-colonialistes du “MIC Mouvement pour l'Indépendance de Clipperton” !… Articles repris au Maroc et dont Le Monde, sous la signature de Jean de la Guérivière fin 1972 a démonté le canular !

Plus sérieux, depuis un ou deux ans, Clipperton retient à nouveau l'attention : Hubert Juet de l'Académie des Sciences d'Outre Mer publie début 2003 un livre vraiment complet (auquel cet article doit beaucoup) : “Clipperton, l'île de la Passion”. En juin 2003 les Mexicains “sortent” un film documentaire (et orienté) sur l'île qui est présenté à Mexico puis à Paris. Geo dans son numéro d'octobre 2004 relate la tragédie de la garnison mexicaine des années 10, Thalassa en juin présente un reportage sur l'île. Actuellement l'explorateur Jean Louis Etienne dirige une expédition scientifique pour l'étude de l'Eco système de l'atoll et nous montre par satellite et télévision son installation au milieu des crabes, comme si on y était (voir p.25) Grâce à Clipperton la France est membre du “CIATT” (Inter American Tropical Tuna Commission) et participe donc aux discussions de cet organisme international. Tous les espoirs sont donc permis pour que désormais un pacifique développement de la zone "contrôlée " par la Terre Française du Pacifique Nord. 1 Pedro Ramon Arnaud reverra sa terre natale grâce au Commandant Cousteau eu 1980. il mourra à 88 ans en 1997.

Rencontres

A Bruxelles, avec les amis belges du Congo - Bernard Viollier


Une rencontre entre membres d'AROM et de Mémoires du Congo, association belge (voir encadré) a eu lieu, à l'invitation de celle-ci, au Musée de Tervueren, près de Bruxelles le 26 novembre dernier. Six membres d'AROM et une trentaine de Belges y participèrent. Le rapprochement des deux associations est intéressant car toutes deux regroupent des membres ayant exercé des fonctions dans différentes branchees d'activité outre-mer, ou s'intéressant à celles-ci. Georges Lambert, administrateur-délégué de Mémoires du Congo présenta son association et fit le point de son activité. Le projet phare est actuellement l'élaboration, déjà bien avancée, d'un DVD sur l'administration territoriale. Serge Jacquemond, présenta ensuite AROM. Puis deséchanges permirent de mettre en parallèle les conditions de formation et les expériences sur le terrain des anciens administrateurs et magistrats français et belges. Le Baron Jacques, vice-président, évoqua, pour sa part, de manière très concrète, les souvenirs de ces derniers. Confirmant ce que nous avions déjà pu constater en visionnant, avant cette rencontre, des cassettes enregistrées par des administrateurs territoriaux belges, il apparut que, si les politiques générales des gouvernements français et belge en Afrique furent assez fondamentalement différentes, la manière dont les administrateurs exercèrent leur métier sur le terrain comporta beaucoup de points communs.


Comparant les techniques utilisées de part et d'autre pour recueillir les témoignages des administrateurs, les Belges conseillèrent aux Français de compléter leur livre par des enregistrements, et les Français proposèrent aux Belges de laisser des écrits à côté de leurs cassettes et films.“Scripta manent”… Raymond Césaire, en conclusion, souligne notamment que le reclassement des Administrateurs et magistrats français avait été plus facile, car ils étaient fonctionnaires de l'Etat français, appartenant à des corps homologues à ceux de la Métropole, ceux issus de l'ENA notamment, tandis que les Belges ne relevaient que des autorités du Congo.

“Pour la vérité sur la colonisation belge” Tel est l'objectif de l'association “Mémoires du Congo” créée à Bruxelles en 2002, et qui compte déjà plus de 200 membres, tous anciens coloniaux ayant vécu Au Congo belge, Rwanda et Burundi, et travaillé dans l'Administration territoriale, le secteur privé ou les Missions, notamment. Pour atteindre cet objectif, elle recueille des témoignages de leur action en Afrique, par des enregistrements de cassettes vidéo où ils évoquent leur “vécu”, et par la récolte et l'archivage de documents : photos, écrits divers. Le tout, destiné à être archivé, et mis à la disposition du Public.

Plus de 160 cassettes audiovisuelles ont déjà été enregistrées, et un film vidéo sur l'Administration territoriale, est en cours.



A Paris, l’Union Africaine et la pauvreté - Raymond Césaire


Le Centre International Francophone d’Echanges et de Réflexion (CIFER) que préside l’Ambassadeur Henri Senghor et la SOPEL, organisme d’intelligence économique et de veille stratégique fondé en 2003 par Amath Soumaré, ont organisé le 17 janvier 2005 une rencontre-débat d’une journée ayant pour thème “l’Union Africaine et le NEPAD face au défi de la pauvreté”, rencontreà laquelle participaient des membres d’AROM et de la CADE. Le cadre accueillant du Conseil économique et social ne fut pas étranger au succès de cette rencontre. En effet plusieurs intervenants d’Afrique saluèrent avecémotion le rôle joué par les locaux de la place d’Iéna lorsqu’ils accueillaient les travaux de l’Assemblée de l’Union Française auxquels leurs parents avaient participé.

Après les messages des personnalités officielles et le discours du Président, les travaux ont porté sur la manière dont le Nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique, initiative purement africaine mais soutenue par l’ensemble de la communauté internationale, pouvait, avec ses partenaires, permettre d’atteindre en Afrique l’objectif de réduction de 50% de la pauvreté fixé par les Nations Unies pour la décennie 2001/2010. Les politiques d’éducation et de santé ayant remplacé comme priorités celles d’ajustement structurel, il reste à les mettre en oeuvre avec plus de succès que celles qui visaient surtout les équilibres financiers. La demande en matière d’éducation est très forte et l’expérience ne manque pas, même si elle est trop rarement capitalisée. De nouveaux effets de leviers sont recherchés par les organisations internationales comme l’Unesco, en s’adressant notamment aux mmes ou en faisant appel à l’informatique. Un plan est certainement nécessaire, de même qu’une charte du droit à l’éducation si l’on veut parvenir à un développement durable.


Dans le domaine de la santé, la pandémie du Sida semble enfin reconnue par tous les responsables politiques. Elle pose de sérieux problèmes aux entreprises. Elle mobilise la recherche comme les services de santé et les ONG. Elle ne doit pas faire oublier pour autant les autres grandes endémies comme le paludisme. L’éducation joue, là aussi, un rôle déterminant dans la prévention. Que l’Afrique en dehors des zones les plus arides ou de celles en conflit ne soit pas en mesure d’assurer sa sécurité alimentaire reste toujours consternant. L’action de nombreux Instituts et des ONG, si bénéfique soit-elle, semble incapable de freiner l’introduction de nouveaux modes de consommation largement importés et la paupérisation des campagnes. L’Afrique, qui a connu de graves atteintes à son environnement et à sa biodiversité au cours du 20ème siècle, fait aujourd’hui l’objet d’une vigilance particulière dont certaines compagnies donnent l’exemple dans leurs activités. Même si la situation de beaucoup de pays reste difficile, du fait surtout des conflits internes qui les déchirent, les participants ne se sont pas montrés pessimistes. Ils estiment que l’Afrique surmontera les retards et les difficultés inhérents à l’inexpérience des Etats qui la composent et qu’elle parviendra notammentà faire se libérer les forces créatrices d’une jeunesse
nombreuse et active pour tenir sa place dans le 21ème siècle.

A Bamako, regards croisés France Mali - Francis Simonis

Agrégé d’histoire, Francis Simonis est maître de conférence d’histoire contemporaine à l’IUFM de la Réunion. Il consacre ses recherches à l’action des administrateurs de la FOM en Afrique noire et à Madagascar. Du 24 au 26 janvier 2005 s'est tenu à Bamako le colloque” Regards croisés France Mali” qui constituait une étape importante des travaux menés depuis fin 2000 par un groupe de chercheurs français et maliens travaillant sur notre histoire commune. Ce colloque initialement prévu en septembre 2004 put finalement avoir lieu grâce à la ténacité de la partie malienne qui prit en charge 90% de son budget.

Pendant trois jours plusieurs dizaines de chercheurs ont pu confronter leurs travaux autour des quatre grands thèmes retenus : les représentations collectives de l'autre, les relations franco-maliennes, les évolutions et réformes de l'Etat et la diversité des pratiques socioculturelles. Plus de 150 personnes ont assisté à la cérémonie d’ouverture placée sous la présidence de M. Mamadou Lamine Traoré, ministre de l’Education. Après les discours d’usage, la conférence inaugurale a été prononcée par Catherine Choquet qui a retracé les différentesétapes du projet depuis sa création, soulignant les acquis essentiels de ces premières années de travaux communs, sans omettre de parler des nombreuses difficultés rencontrées. Un premier après-midi a été consacré à une séance plénière de présentation des ateliers du lendemain. Si quelques interventions ont retenu l'attention, l'occasion qui fut donnée à de jeunes boursiers du programme de faire état de leurs travaux fut plus discutable. Etait-il nécessaire, en effet, d'infliger à un public scientifique international des propos d'une telle indigence ?

C'était d'autant plus regrettable que la journée du mardi 25, réservée aux travaux en ateliers, a suscité de nombreuses frustrations, en raison du faible temps de parole offert à chaque intervenant et du peu de place accordé au débat. Des communications remarquables ont ainsi du être abrégées ou n'ont pas trouvé l'écho mérité . Une projection du film de Sembène Ousmane, Le camp de Thiaroye, a été organisée au Mess des Officiers de Bamako sous la présidence du ministre de la Défense et en présence d'anciens combattants. Le lendemain a été consacré à la projection de L'homme du Niger, de Baroncelli, et au débat qui a suivi sur l'Office du Niger, animé par le Professeur Morabito. Les synthèses des ateliers furent présentées l'après-midi en séance plénière par quatre rapporteurs, ce qui fut l'occasion d'un premier bilan. On s'est comme de juste félicité de la qualité des présentations avant de conclure à l'utilité de prolonger ce type de rencontre.

La séance de clôture, présidée par M. le ministre de la Culture Sissoko, en présence de l'Ambassadeur de France M. Normand et du Recteur de l'Université de Bamako, a permis au Président du GEMDEV, M. Géronimi, de présenter les premières conclusions des travaux et les perspectives d'avenir du projet “Regards croisés”. Il a ainsi particulièrement insisté sur l'intérêt de l'octroi de bourses, les jeunes chercheurs ayant selon lui participé à la création d'une dynamique forte. A long terme, il est envisagé la mise en place d'un Institut de Recherche franco-malien basé à Bamako permettant d'accueillir étudiants, enseignants, chercheurs français et maliens. Cet institut serait appelé à s'élargir aux partenaires européens et de la sous-région.

L'idée est séduisante. Il est permis, cependant, de s'interroger sur sa pertinence. A l'heure ou la recherche est sinistrée et où les crédits font cruellement défaut, est-il judicieux de les investir massivement dans un projet aux contours scientifiques aussi flous qui risquerait tout autant de scléroser la recherche que de la dynamiser ? La coopération universitaire franco-malienne doit se poursuivre, mais exige davantage de rigueur. Plus que d'inutiles grand messes, le temps est venu de rencontres scientifiques sérieuses autour d'objectifs limités et clairement définis. Cela passe nécessairement par une sélection accrue des participants au programme. Mi-colloque international, mi-voyage de fin d'études offert à leurs étudiants par des universitaires parisiens, ce colloque “Regards croisés” laisse donc l'impression désagréable d'une occasion manquée.

Vu, lu, entendu

Entendu à la radio ...


Jeudi 16 février sur France Inter : commentaire de l’historien Bernard Stora sur le cycle “Colonies” organisé par le Forum des Images. intéressantes remarques, entre autres, sur le cinéma colonial des années 30 pour qui les coloniesétaient essentiellement un décor exotique pour les aventures des hommes blancs. Egalement sur l’incapacité des cinéastes français à réaliser de grands films populaires sur le sujet comme ont su faire les Américains (Apocalypse now, Voyage au bout de l’enfer) ou les Anglais (Gandhi) etc... “Tout reste à faire”, sur l’Algérie ou l’Indochine, par exemple, conclut Bernard Stora.

Vu à la télévision ...


Un cycle sur les colonies

Le 22 janvier, à une heure de grande écoute, A2 a permis aux téléspectateurs de voir et d’entendre Jean-Louis Etienne, l’explorateur bien connu dans les glaces polaires, en train de construire devant la télé avec 10 compagnons - savants et chercheurs - la base d’un campement sous les cocotiers d’un atoll tropical perdu dans le Pacifique Nord. On comprend, à l’entendre qu’il s’agit d’une Terre Française sur laquelle des scientifiques vont étudier à fond l’écosystème, avec l’espoir d’y laisser une base permanente, une fois leur mission accomplie. Installation d’une éolienne pour l’électricité, de gaz pour la cuisine... Tout le confort ! La base va attirer les touristes aussi. Ceux-ci, après 17 heures de vol de Paris et 4 jours de mer au bord d’une goëlette affrétée depuis Acapulco, pourront jouer au “Robinson Crusoë” en compagnie de nombreux “Vendredi”, et pour quelques jours ! (pour en savoir plus sur Clipperton, voir page 20)

Jean Serjac


A Clipperton en 2005


Vu au cinéma ...


Mooladé

Le vétéran du cinéma africain Ousmane Sembe - il est né au Sénégal en 1923 - a ajouté une pierre à son oeuvre avec ce Mooladé sorti en mars sur les écrans parisiens.
Le village du Burkina où habite Collé Ardo Gallo Sy prépare, comme tous les sept ans, ses fillettes à l'excision. Mais quatre d'entre elles s'enfuient et se mettent sous la protection de la jeune femme. Collé, qui avait, dans le passé, elle-même refusé que sa fille soit "purifiée", accepte de les recueillir et déclare sa concession protégée par le "mooladé" (droit d'asile).
Cette décision va provoquer dans le village de durs affrontements entre les femmes qui soutiendront Collé et les tenants de la tradition. Le conte d'Ousmane Sembe démonte avec intelligence les rapports de force dans le village. On s'étonne cependant qu'il n'y soit jamais question d'une autorité administrative ou judiciaire autre que celle du chef et des anciens. Mais sans doute le réalisateur a-t-il tenu à ce que le drame se déroule en quelque sorte à huis clos et dans une ambiance un peu intemporelle. Le personnage de Collé, qui par son courage et sa ténacité, triomphe des pesanteurs villageoises, a beaucoup de noblesse et force la sympathie sans pour autant que les tenants de la tradition soient caricaturés.

Le réalisateur s'est en effet gardé de tout manichéisme, montrant, au fil du récit, que le problème posé aux villageois n'était pas si simple à résoudre. . J'ai trouvé remarquable la reconstitution du village, mais, vérification faite, il s'agit d'un vrai village, celui de Djery So, choisi par Ousmane Sembe parce que situé dans une région prospère. "Je voulais sortir de la représentation d'une Afrique miséreuse" a dit le réalisateur."L'excision est une atteinte à la dignité et à l'intégrité de la femme" at- il déclaré également. Il m'a semblé cependant que le film -à travers les propos des personnages féminins dénonçait moins l'atteinte aux principes que les séquelles de cette pratique : atteintes à la santé des femmes (les accouchements difficiles) voire à leur vie (les accidents en cours d'opération). Il n'en remet pas moins en cause très clairement et très courageusement la place de la femme dans la société africaine et son auteur espère qu'il fera bouger les choses.

Mooladé a obtenu le prix "Un certain regard" au festival de Cannes 2004. et une mention spéciale du Jury Oecuménique. Ousmane Sembe prépare maintenant un nouveau film qui s'appellera "La confrérie des rats" et qui traitera de la corruption. Vaste programme… Mooladé de Ousmane Sembe Sénégal (2h) avec Fatima Coulibaly, Dominique T.Zeïda

A noter encore :

Deux films africains sont en préparation, sur des sujets qui "interpellent" : Noirs dans les camps nazis de Serge Bilé qui sortira en avril. : ils étaient 10.000, peut-être plus. On n'en parle jamais. Serge Bile a recueilli les témoignages des quelques survivants qu'il a pu retrouver. Indigènes de Rachid Bouchareb, avec Jamel Debouzze et Roschy Dem, en cours de tournage : "l'histoire des tirailleurs qui se sont battus pour la mère patrie mais qui, le jour de la victoire, n'ont pas eu le droit de défiler sur les Champs Elysées parce qu'ils étaient arabes ou noirs" comme le raconte Jamel Debouzze. Un ciné-club entièrement consacré aux cinémas d'Afrique et de la Caraïbe vient d'être créé à Paris au Musée Dapper. Tel 01 45 00 91 75

Le Forum des Images organise un cycle "Colonies" pour "interroger les représentations de l'histoire coloniale et l'imaginaire véhiculé par le cinéma, spectacle mondial né à l'apogée des empires" Au programme de février figuraient notamment "L'homme du Niger", "La France est un empire", commenté par l'historien Pascal Blanchard, "La chasse au lion à l'arc" de Jean Rouch, deux soirées"Archives", avec des films des fonds Gaumont et Pathé, etc. Le programme de mars/avril n'était pas disponible
lorsque cet article a été écrit. Forum des images Tel 01 44 76 63 07 ou www.forumdesimages.net.

George Sanner

Lu dans la presse ...

Jeune Afrique, l'Intelligent dans son numéro 2274 paru en août 2004 (un mois peu propice à la lecture !) publie une interview du ministre des affairesétrangères Michel Barnier, particulièrement intéressante en ce qu'elle précise les grands axes actuels de la diplomatie française en Afrique. Le ministre qui rentrait d'un voyage dans le continent - notamment au Darfour limitrophe du Tchad - avoue avec franchise ne pas connaître encore l'Afrique dans toute sa complexité. Mais il énonce quelques principes clairs : " Ni indifférence ni arrogance " en se démarquant quelque peu du discours de La Baule qui avait été mal perçu en son temps pour les dirigeants des pays francophones . François Mitterrand proclamait : " Voilà ce qui est bon pour vous, ce qu'on attend de vous chez vous ". Il n'y a pas de développement sans démocratie complète M. Barnier ; il est vrai qu'il ne peut pas y avoir non plus de développement sans résolution des crises. On l'a vu au Zimbabwe, en Haïti et aussi en Côte d'Ivoire. Le ministre qui déclare par ailleurs avoir bon espoir d'arrêter la décrue des moyens que la France mettait dans sa coopération, affirme sa conviction que l'Union Européenne peut être demain un cadre essentiel de l'influence française car il n'y a pas incompatibilité entre une mutualisation des risques au niveau de l'Europe et le maintien des responsabilités propres à la France dans ce qu'on appelait " son pré carré " (pré carré dont la tentation d'en sortir a été il y a un temps préconisée par certains stratèges séduits par un objectif de mondialisation de notre influence ; objectif assez chimérique à mon avis !)

Jean Serjac


L'hebdomadaire Marianne (n° 401- 402 du 25 décembre 2004) a consacré un numéro spécial à “La chute de l'Empire Français”. J'en ai pris connaissance avec d'autant plus d'intérêt que les quelques 20 articles qui composent ce numéro sont bien documentés et objectifs. Ils sont dépourvus de ces jugements idéologiques à l'emporte-pièce qui
caractérisent l'anti-colonialisme dans l'air du temps. J'ai retenu les points suivants :

1) Marc Ferro, l'auteur du “Livre Noir de la Colonisation”, souligne en des propos mesurés que l'empire colonial français s'est construit selon le “principe de compensation”, c'est à dire que les conquêtes coloniales se sont faites en compensation - j'allais dire en consolation - des défaites subies au XIX et XX siècles, celle de 1870 et surtout celle de 1940. Il est vrai alors que l’opinion mondiale était hostile à la colonisation européenne et que Paris a tout fait, à partir de 1940, pour conserver l'Empire par des interventions armées et toutes sortes d'inventions constitutionnelles : en Indochine, les Etats Associés en Afrique, l'Union Française, la Communauté, ainsi que des accords de défense plus ou moins secrets et personnalisés. Mais tout cela ne tint pas. Ce fut Dien Bien Phu en 1954, pour finir avec Laurent Gbagbo en Côte d'Ivoire en 2004. Ainsi s'achève l'épopée impériale de la France.

2) S'agissant plus particulièrement de l'Indochine, on relève ce conseil donné au général Leclerc par Lord Mountbatten, alors que Leclerc rejoignait Saigon pour prendre son commandement. C'était à Ceylan le 22 août 1945 : “Vous voulez maintenir une colonie à 12 000 km de chez vous ; Ce n'est pas sérieux. Le monde a changé. Vous n'y arriverez pas” et l'amiral futur dernier vice roi des Indes d'ajouter : “Il faut décoloniser d’urgence, parce que l'enjeu vital pour les Européens se tient désormais sur leur continent.” Il était en effet impossible, on le comprend facilement aujourd'hui, d'aller seul en Extrême Orient contre l'idéologie Roseveltienne qui se conjuguait alors avec l'idéologie stalinienne pour détruire les empires coloniaux. De cette Indochine perdue à grands frais, que reste-t-il ? Benjamin Stora dans Marianne répond : “La culture française est très faible dans le Vietnam actuel. On recense officiellement 70 000 francophones sur une population de plus de 70 millions d'habitants, la langue française n'est pas ou très peu présente dans les hôtels, sur les enseignes lumineuses, les panneaux indicateurs et le sommet de la francophonie tenu à Hanoi en 1997 n'y a rien changé. Autour du petit lac dans le centre de Hanoi, on croise parfois quelques personnesâgées qui parlent encore le français et qui vous abordent pour évoquer leurs études au lycée Albert Sarraut, aujourd'hui siège du Comité des relations internationales du Parti Communiste….”


3) Pour ce qui est de Madagascar, l'auteur de l'article souligne le rôle particulièrement néfaste du Parti Communiste français qui a fait croire que le nombre des victimes au soulèvement de 1947 était beaucoup plusélevé qu'en réalité. Il est vrai qu'en matière de décolonisation, le PCF a largement milité contre les intérêts français provoquant, notamment en Indochine, la mort de nombreux militaires français. (On connaît le cas Boudarel, commissaire politique au camp 113, tortionnaire de prisonniers français, amnistié, non condamné et qui, de retour à Paris, fit une fort belle carrière dans l'enseignement).

4) En ce qui concerne l'Afrique du nord et surtout l'Algérie, l'auteur écrit : “La victoire militaire en Algérie n'est pas niable, mais elle est assortie d'une défaite politique qui a contraint la France à l'évacuation. 920 000 français ont du quitter l'Algérie en 1962, dans des conditions épouvantables, laissant derrière eux un état incompétent et corrompu. La failliteéconomique et politique de l'état FLNà construire une société juste, le spectacle quotidien de la misère et de la corruption ont mis à nu les mensonges de la mémoire officielle…..” Le coût de la colonisation Je passe sur l'étude approfondie du professeur de faculté, Jacques Marseille, sur ce coût : en réalité, peu de choses. Sur ce qu'ont rapporté les colonies : également peu de choses, pour mentionner cette évidence, à savoir que la décolonisation, elle, a coûté très cher à la France. Le général de Gaulle le pressentait qui, en réalité, au fond de lui-même, n'éprouvait aucun attachement sentimental pour l'Empire et qui, prémonitoire - comme le rappelle Jacques Marseille dans le numéro de Marianne - confiait à Alain Peyrefitte le 5 mars 1959 :“Il ne faut surtout pas se payer de mots ! C'est très bien qu'il y ait des français jaunes, des français noirs, des français bruns. Ils montrent que la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une minorité. Sinon la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant tout un peuple européende race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne…Ceux qui prônent l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants. Essayez d'intégrer de l'huile et du vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se séparent de nouveau. Les Arabes sont des Arabes, les Français sont des Français.


Christian Lambert

Lu chez le libraire ...


L'Indochine face au Japon 1940-1945 De Philippe Grandjean - E d i t i o n s L'Harmattan


P h i l i p p e Grandjean a connu l' Indochine française à la période de sa résistance solitaire à l'irruption japonaise. Elle déboucha, en mars 1945, sur un désastre qui, avant ceux de la guerre qui suivit, mit fin à notre domination sur le plus beau fleuron de notre Empire colonial. Un désastre moins connu que celui de Dien Bien Phu et qui a donné lieu à des interprétations partisanes trop souvent erronées. Son livre raconte cette histoire trop oubliée et rétablit honnêtement les faits. J'en ai retenu ce qui suit :
En juin 1940 la France est vaincue. Le Japon, en guerre avec la Chine, exige le contrôle de notre chemin de fer du Tonkin au Yunnan. Puis le stationnement et le transit de quelques milliers de ses soldats dans le nord du Tonkin.

Ce stationnement sera étendu à tout le territoire avec l'entrée en guerre des États-Unis et de leurs alliés. Conscients de la faiblesse de nos moyens militaires face à la puissante armée japonaise et faute de l'appui, sollicité en vain, de nos partenaires anglais et américains, les gouverneurs généraux, le général Catroux, avant de rejoindre le général de Gaulle, puis l'amiral Decoux doivent accepter les demandes musclées des Japonais. Mais Decoux obtiendra, en contrepartie, que Tokyo reconnaisse la souveraineté de la France sur l'Indochine et l' intégrité territoriale de celle ci. En dépit de quelques accrocs, entre autres l'agression de la Thaïlande, à laquelle, sur la pression de son allié japonais, il a fallu céder deux provinces frontalières, et au prix de quelques concessions en matière économique ou financière, ce modus vivendi fragile et douloureux mais qui préservait l'essentiel a été maintenu jusqu'en mars 1945. Il a épargné à l'Indochine les flux et reflux dévastateurs de la guerre du Pacifique et les horreurs de la brutale occupation que les Japonais, après l'élimination des Britanniques des Hollandais et des Américains, imposèrent à leurs dépendances birmane, malaisienne, indonésienne et philippines.

En Indochine, où flottaient toujours nos couleurs, et où nos soldats maintenaient toujours la paix, la France continuait à administrer des populations dont, la très grande majorité ne contestait pas notre autorité. En dépit du blocus et de l'insuffisance des ressources locales, il n'y eut pas de famine et l'activité économique fut maintenue. Sous l'amiral Decoux, l'administration engagea en matière d'emploi, d'accès à l'éducation, ou de promotion de la personnalité et de la culture des peuples d'une nouvelle Fédération Indochinoise, des réformes depuis trop longtemps attendues. L' Indochine maintint son allégeance à une métropole qui n'était plus une République mais un État. Coloniaux et colonisés, sensibles au prestige du vieux maréchal, ils l'étaient aussi à l’impossibilité d'un ralliement à une France Libre en guerre contre un Japon dont des milliers de soldats stationnaient à leurs portes . Vers la fin de 1942 il apparut que la victoire changeait de camp. En Indochine l'esprit de résistance commença à souffler chez les 40 000 Français Mais la grande masse attentiste des 30 millions d'Indochinois ne se sentait pas plus concernée par le maintien de notre domination que par leur appartenance à une Grande Asie Orientale dont les Japonais se faisaient les propagandistes. Dépourvue de l'appui populaire sur lequel, en métropole, la résistance pouvait compter, celle des Français d'Indochine devait limiter ses objectifs. A des niveaux discrets des contacts furent pris, des renseignements transmis, des réseaux tissés, des projets de guérilla esquissés.

A Alger, capitale de la France libre, on les étudiait. Un très léger Corps Léger d'Interventionétait formé. Mais il fallut avouer qu'aucune intervention française ne pourrait s’envisager avant l'été 1945. Cependant l'espoir de la libération avait fait lever des rivalités francofrançaises. Le général Mordant, commandant supérieur de nos troupes, fit secrètement allégeance à la France Libre qui le désigna comme chef de la résistance puis en fit le délégué général du gouvernement provisoire de la République française, coiffant ainsi Decoux, nullement disposé à s'incliner. Un Service Action de la Résistance, plus politique, plus jeune, plus ardent que le très prudent chef désigné de celle-ci, finit par débaucher les militaires et les civils les plus déterminés et devint le destinataire de parachutages d'armes dont la fréquence, s'ajoutant aux bavardages, à l'exaltation
héroïque des radios françaises émettant pour l'Indochine, aux rumeurs infondées d'un imminent débarquement américain finirent par inquiéter les Japonais, dont les effectifs avaient triplé à la veille du 9 mars 1945. Des informations, qui ne troublèrent pas notre haut commandement, laissaient prévoir une action de force japonaise entre le 8 et le 10 mars. Decoux en eut la pénible confirmation quand, le 9 mars à 19 heures, l'ambassadeur du Japon lui présenta un ultimatum, aussitôt rejeté, exigeant que dans les deux heures les troupes françaises soient placées sous commandement nippon. A 21 heures l'amiral et ses collaborateurs furent faits prisonniers. Partout dans l'Indochine, la quasi totalité des généraux et des résidents civils fut incarcérée. A Langson, qui avait déjà connu et connaîtra d'autres désastres, le résident, le général et le commandant de place eurent l'honneur d'une décapitation au sabre.

Ailleurs on tua beaucoup, sans y mettre tant de forme. Nos garnisons, surprises, opposèrent une résistance valeureuse qui ne sera définitivement matée qu'au bout de deux mois. De nombreux soldats prisonniers seront massacrés. Nos pertes dépasseront 2000 tués. Certaines unités, notamment celles de la brigade Alessandri, parviendront, péniblement, à se réfugier en Chine. La plupart des résistants civils du Service Action, surpris, restèrent chez eux. Mais n'échappèrent pas aux geôles de la Kampetai, la féroce Sûreté japonaise.

En quelques heures, disparaissent l'armée, l'administration, les services français. Nos compatriotes sont parqués, menacés, étroitement surveillés, soumis à d'incessantes humiliations, sans radio, sans armes sans vivres, sans argent, sans nouvelles des leurs, disparus ou emprisonnés. La capitulation japonaise du 15 août 1945, qu'ils saluèrent en grande joie ne mit pas fin à leurs tribulations. Certains, dont l'amiral Decoux, accusés fort injustement de collaboration avec les japonais, seront réexpédiés sans ménagements en France et traduits en justice. Au lendemain du 9 mars, les indépendances du Vietnam, du Cambodge et du Laos avaient été proclamées et des gouvernements mis en place avec la bénédiction des Japonais et le concours de leurs conseillers. Ils ne survécurent pas à la défaite de leurs mentors. Survécurent, en revanche, les aspirations à l'indépendance. Nous mîmes trop de temps à les reconnaître. Fin août les brigades de Giap entrent à Hanoi où des manifestations bien organisées acclament le Viêt-Minh molestent les français et pillent leurs maisons. Le 2 septembre Ho Chi Minh y proclame à son tour l'indépendance et l'avènement d'une République Démocratique du Vietnam contre laquelle s'engagera, le 19 décembre 1946, une guerre de 8 ans conclue le 21 juillet 1954 par la signature des accords de Genève sanctionnant notre défaite. Mais, dès le 9 mars 1945, les Indochinois savaient que les Français avaient perdu “le mandat du Ciel”.


A. Deschamps


L'Africain de J.M.G Le Clézio.


J.M.G Le Clézio nous avait fait vivre avec “Onitsha”, publié chez Gallimard en 1991, le parcours initiatique d'un enfant qui, voyageant en bateau avec sa mère dans les années trente, découvrait la côte de l'Afrique de l'ouest pour aller retrouver un père, agent de la United Fruit sur la côte nigériane. Au delà de la description d'une société coloniale mesquine, souvent ridicule, mais impitoyable, il nous avait fait partager sa passion d'enfant pour l'Afrique, la beauté de ses paysages, sa sensualité et ses mystères. Le père, rêveur et utopiste, qui essayait de comprendre les secrets des tribus de la côte et de retrouver les traces du royaume de Meroë et la mère, moins sensible aux qu'en dirat-on qu' aux injustices dont étaient victimes les populations, avaient finis par être rejetés par l'establishment de la petite colonie et obligés de partir. D'une richesse et d'une force extraordinaires dans ses évocations des phénomènes naturels et surnaturels,“Onitsha” ne pouvait être que largement autobiographique.

Si l'enfant et la mère sont bien les mêmes, “L'Africain”, premier livre d'une nouvelle collection intitulée “Traits et portraits” publié au Mercure de France est, en une centaine de pages, le portrait du vrai père de Le Clézio. D'une famille originaire de l'île Maurice, celui-ci avait fait ses études de médecine en Angleterre et épousé une lointaine cousine française avant d'aller exercer dans des circonscriptions de santé, d'abord en Guyane britannique puis en pays Ibo, dans l'est du Nigeria et enfin dans le Cameroun anglophone. “L'Africain”, puisque c'est de son père qu'il s'agit, est un homme de devoir et de rigueur, passionné par son métier et tant épris de sa femme et de ses deux enfants qu'il traversa en vain le Sahara pour tenter de les récupérer au début de la guerre.

La séparation, les changements, le début des violences marquèrent toutes les générations qui connurent cette partie de l'Afrique avant l'indépendance. “L'Africain” vécut cette période intensément, mais avec le sentiment d'un monde qui fait naufrage. Son fils en aura retiré, après le merveilleux délire de jeunesse d'”Onitsha”, beaucoup de nostalgie et de pudeur dans son récit. Avec la Cross River, les noms d'Oweri, Aba, Ogoja, Boni, Calabar, Bamenda et bien d'autres, emportent le rêve du lecteur. “L'Africain” est illustré de photos personnelles de paysages ou de sujets d'époque, en noir et blanc ou en sépia, qui ajoutent leur douceur à ce témoignage de reconnaissance.“L'Africain”, comme “Onitsha”, se termine par le rappel du drame personnel qu'ont connu, avec le conflit du Biafra, tous ceux qui avaient aimé ces régions. Mais il n'y est pas encore question du pétrole.


Raymond Césaire


LA VIE D ’AROM


Activités de l’association


Nous entrons dans la deuxième année de la vie d'AROM. La première réunion d'information sur le projet de création de l'Association s'est tenue en effet, le 24 janvier 2003 dans une salle de l'IPSEC, l'organisme de prévoyance du Groupe CDC auquel appartiennent une vingtaine de membres d'AROM. Hasard du calendrier, à partir du 1er mars de cette année AROM change de siège social et profite de l'hospitalité de l'IPSEC pour y implanter son bureau. Ce transfert évidemment a quelque peu perturbé le fonctionnement de l'Association, mais celle-ci y a vu l’amorce d’un nouveau départ.

Les conseils d'administration qui se sont réunis le 10 décembre 2004, puis le 15 février 2005, ont fait le point sur les actions écoulées. L'assemblée générale du 5 avril devra donner plus de précisions sur les orientations à venir. Deux initiatives mises en route l'automne passé ont connu un sort différent :
- Les livres d'auteurs AROM au profit des membres de l'Association n'ont pas obtenu le succès escompté. Quelques exemplaires seulement ont été achetés sur la trentaine de titres diffusés fin 2004. En conséquence, le Conseil a décidé d'inviter désormais les amateurs à s'adresser directement aux éditeurs ou aux auteurs sans passer par AROM qui, en l'occurrence a effectué un travail sans rapport avec les résultats.

- Le fonds documentaire a rencontré par contre un certain intérêt notamment auprès du Ministère des Affaires Etrangères. Il est donc prévu de continuer cette activité et de compléter le fonds actuel par de nouveaux documentsà recev oir des uns des autres. S'il y a lieu, AROM pourrait dans cette logique “éditer” quelques brochures sur des sujets conformes à sa vocation. Les déplacements projetés ont également évolué (ce qui prouverait au moins le pragmatisme de l'Association !) :
La visite à Bruxelles auprès de l'Association belge“Mémoire du Congo” s'est déroulée à la satisfaction générale le 26 novembre (voir page 23) La visite à Dinan, pour rendre hommage aux administrateurs morts en Indochine en 1945 - 54 a été annulée (malgré le patronage de Monsieur Messmer) faute d'avoir trouvé l'appui escompté des “gardiens du drapeau” de l’association des anciens élèves de l'Ecole de la France d'Outremer.

La visite à Bamako sera rapportée en principe lors des cérémonies du centième anniversaire de l'installation des autorités - alors coloniales - à Koulouba, cérémonies, auxquelles est attaché le Président Ahmadou Toumani Touré, avec lequel AROM a pris contact. Une visite à Brazzaville est envisagée pour la fin de l'année si les manifestations officielles prévues à l'occasion du transfert des cendres de Sarvognan de Brazza se réalisent.

Les bulletins successifs d'AROM, comme le montre le n° 5, sont là pour donner plus de détails sur les manifestations, déplacements, rencontres et contacts qui font la vie de l'Association. Ils constituent en effet le meilleur support pour permettre à l'Association de réaliser ses objectifs : - Faire connaître le passé et aussi le présent de l'Outre Mer qu'il s'agisse d'Etats indépendants ou de Territoires et Départements d'au delà des mers. - Développer l'amitié entre les jeunes et les moins jeunes de la métropole et de l'Outre Mer en diffusant au maximum ses idées, références et réflexions.

Les gens d'Arom


Jean Claude Bouchet est décédé à Saint Raphaël le 9 décembre 2004 Dutheil de la Rochefordière a été élu membre de l'Académie des Sciences d'Outre Mer le 3 décembre 2004 Daniel Doustin est décédé à Paris le 24 décembre 2004 (voir in memoriam page 32) Philippe Grandjean a reçu de l'Académie des Sciences d'Outre Mer le prix Auguste Pavie pour son livre " L'Indochine face au Japon " (voir page 28)

 

In mémoriam : Daniel Doustin 1920-2004


Le gouverneur honoraire de la France d'Outre Mer Daniel Doustin nous a quitté, la veille de Noël, le 24 décembre 2004. Pour ce qu'il a fait, et surtout pour ce qu'il fut, sa disparition laisse un vide profond parmi tous ceux qui le connurent, et provoque la plus vive déchirure du coeur de ses nombreux amis. Sa carrière est grande, à la mesure de l'homme. Par tempérament, avec courage et résolution, Daniel Doustin sera toujours là où est le risque. Evadé de France, et envoyé dans les F.F.L. à l'heure de l'occupation allemande ; sur les plateaux Moï, auprès des populations montagnardes menacées par le Viet Minh dans les années cinquante . au Cameroun, en Sanaga maritime, lorsque la révolte gronde ; à la DST, à Paris, en 1961, lorsque ce poste de vigilance républicaine expose son titulaire ; à la direction du cabinet de Raymond Barre en 1976, lorsque le nouveau premier ministre cherche un homme de terrain et d'action pour diriger sa nouvelle équipe en pleine crise économique et sociale.

Daniel Doustin a, du rôle de l'administrateur, la conception la plusélevée, celle où le service public de l'Outre Mer se confond au nom de la France, avec un engagement total, physique et moral, au bénéfice des populations les plus déshéritées. Ilécrit que ses premières expériences sont " le résultat d'une sorte de travail d'administrateur paysan au ras du sol et des hommes ".

Son tempérament ardent, généreux et sensible, le portent à trouver, dans ce magnifique métier, l'expression la plus vraie de l'exigence au quotidien, celle où le résultat de l'action est à la mesure de la conviction de celui qui l'engage, et où le juste arbitrage est le premier facteur de la paix. Partout où il sert, en Indochine, en Afrique, en France, dans ses fonctions les plus variées, administrateur de brousse ou gouverneur, préfet de région, ou directeur de ministère, il témoigne de cette générosité exceptionnelle qui le porte toujours d'instinct à la compréhension de l'autre. Il est humain, profondément, ce grand commis de l'Etat. L'action le révèle, mais ne lui suffit pas. Il veut transmettre et, pour cela, convaincre, fédérer, unir, pour avancer ensemble. Daniel Doustin fut un merveilleux ami pour ceux qui eurent la chance de bien le connaître. Attentif aux autres, il aimait écouter et partager. Homme de conviction et d'ardeur, de fidélité et de mesure, son départ crée un grand vide dans le maigre groupe de ses vieux compagnons de voyage. Notre veille devient aujourd'hui encore plus difficile avec ce grand équipier qui s'en va.


Pierre Masson

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